Le fiancé de ma soeur E2

Episode 2 - Premiers frissons

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Abdallah Bachir Ndao

Je venais tout juste de me réveiller, Je me suis bien reposé certes, mais encore un peu engourdi. Je ne m’habituerai jamais aux avions, même si je passe ma vie entre deux aéroports. J’étais arrivé à Londres la veille, mais mon esprit, lui, était resté ailleurs, avec elle.

Cette fille. Belle, gracieuse. Son regard m’avait traversé et depuis, elle n’avait pas quitté mes pensées. C’était insensé. Je suis censé me marier à mon retour, et pourtant, je suis là à rêver d’une inconnue. Peut-être que c’est juste la peur de l’engagement, ou peut-être que cette fille a réveillé en moi quelque chose que j’avais oublié.

Linda ne mérite pas ça. Elle est droite, sérieuse. On est ensemble depuis un an. Ce n’est pas passionné, ce n’est pas romanesque, mais c’est clair. Avec elle, tout est structuré. Elle dirige une grande entreprise, tout comme moi. Deux personnes occupées, organisées, qui savent ce qu’elles veulent. Ce n’est pas le grand amour, non. C’est un partenariat solide. Et pourtant… depuis hier, cette rencontre avec une inconnue commence à tout chambouler.

Je n’ai jamais été très pressé de me marier. Le mariage m’a toujours semblé lourd. Pas dans le principe, mais dans ce qu’il peut enfermer. J’ai grandi dans une famille polygame, avec ses tensions, ses sous-entendus, ses guerres invisibles. Mon père, Abdoul Wahab Ndao, était un homme droit, respecté. Il avait deux épouses : ma mère, Henriette Diagne, et sa première femme, Salimata Gueye.

Je suis le seul fils de ma mère, je porte le nom de mon grand-père Abdallah Ndao mais aussi celui de son meilleur ami décédé Bachir Diop, Toutes les personnes qui me connaissent m’appellent Abdallah, seuls les plus intimes m’appellent Bachir.

Ma “belle-mère”, comme on dit, ne l’a jamais acceptée. Pour elle, ma mère avait volé sa place. Elle avait un fils, Zackaria, mon demi-frère, qui me méprise depuis l’enfance. Il pensait que tout lui reviendrait, mais mon père m’a choisi, moi. Il disait que j’étais le plus rigoureux, le plus stable. Zackaria rêvait de devenir footballeur. Il était bon, mais une blessure a tout arrêté. Depuis, il me déteste.

Et puis, il y a Yacine. Sa femme. Une femme troublante, aux intentions floues. Depuis que j’ai pris la tête de l’entreprise, elle multiplie les gestes déplacés, les sourires équivoques. Elle cherche à m’attirer, je le vois bien. Et je fais tout pour l’éviter, pour lui rappeler les limites. Mais elle attise le feu. Zackaria la défend bec et ongles, sans jamais comprendre le rôle qu’elle joue dans nos tensions.

Je soupire et prends mon téléphone. J’appelle ma mère. Sa voix douce me fait du bien, comme toujours.

— Mon fils adoré, tu me manques déjà.

— Ne t’inquiète pas, maman. Je rentre bientôt. Tout va bien, là-bas ?

— Tu sais, cette maison sans ton père, Ce n’est plus pareil. Et quand tu es en voyage, c’est encore pire. Mais je m’y suis faite.

— Ça changera, maman. Je te le promets.

— Linda m’a appelée ce matin. Elle a pris de mes nouvelles. Je dois rencontrer sa mère demain. Elle m’a dit qu’elle t’aime beaucoup. Elle veut que ce mariage se fasse vite. Ton oncle Moustapha ira voir son père pour parler de la date.

— Oui, maman. Je vous laisse organiser ça comme vous voulez.

— Tu sais que ça me rassure. J’aurai enfin un peu de renfort dans cette maison, dit-elle en riant.

Je souris à ses mots, mais à l’intérieur, je suis ailleurs. Une partie de moi se demande ce que je suis en train de faire. Une autre, plus insidieuse, plus persistante, me pousse à revoir cette jeune femme.

Il faut que je sache. Que je la revoie. Que je sache si ce que j’ai ressenti dans cet aéroport était réel ou juste un fantasme passager.

Je me décide enfin à lui envoyer un message sur WhatsApp.

« Bonjour Mademoiselle, j’espère que vous êtes bien arrivée à Paris — Bachir »

Je relis le message au moins dix fois. Je doute, je pense à l’effacer. Puis je le laisse. Trente minutes passent. Rien. Pas une réponse. Peut-être que je me suis fait des illusions. Peut-être qu’elle est mariée, fiancée, ou simplement polie. Je me sens idiot.

Puis, une notification.

« Bonjour Bachir. Ravie d’avoir de tes nouvelles ! Je vais bien et j’espère qu’il en est de même pour toi. Porte-toi bien. »

Je relis son message. Encore. Et encore. Et quelque chose, au fond de moi, se détend. Un sourire me vient. Involontaire. Un sourire que je ne reconnais pas.

Je crois que je suis foutu

Djamila Sow

Je suis arrivée à Paris hier soir. Ma tante Ramatoulaye était comme toujours pleine d’attention. Depuis que mon stage à Londres s’est terminé, je sentais ce besoin de retrouver mes repères. Ces trois mois là-bas m’ont permis de me recentrer, mais aussi de découvrir ce que je voulais. Travailler dans un labo, continuer la recherche, Il est temps que je retourne au Sénégal pour travailler dans l’entreprise familial

Linda, de son côté, devait venir en vacances. Mais cette fois, elle a décliné. Elle dit être débordée avec l’entreprise et les préparatifs du mariage. C’est étrange de penser qu’elle va bientôt se marier et que je ne connais même pas son fiancé. Mais avec Linda, rien n’est jamais simple. Elle est secrète, distante. Toujours cette impression qu’elle me garde à la marge.

Ce matin, nous avons eu un appel FaceTime avec maman. Son sourire m’a réchauffé, comme toujours.

— Tu devrais venir au Sénégal avec Djami, dit-elle à tante Ramatoulaye. Linda va se marier, il faut que tu sois là pour m’aider.

— Je ne raterai pas ça, dit ma tante en riant. Je vais poser mes congés.

— Ce sera une belle fête, notre première depuis longtemps. On doit marquer le coup !

Après l’appel, je suis restée assise, téléphone en main, à faire défiler mes messages WhatsApp. Je suis de ces gens qui ne l’ouvrent que quand c’est urgent. Une notification attire mon attention.

Un message. Je vois le nom de Bachir s’affichait, j’avais enregistré son numéro avant de sortir de l’aéroport

« Bonjour Mlle, j’espère que vous êtes bien arrivée à Paris… »

Je sens mon cœur ralentir. Bachir.

Un frisson me parcourt. Je ne m’y attendais pas. Je lui réponds doucement, mes doigts hésitants mais sincères.

« Bonjour Bachir. Ravie d’avoir de tes nouvelles. Oui je suis bien arrivée. J’espère que toi aussi tu profites bien de Londres. Porte-toi bien. »

Puis je fais ce que je fais toujours quand quelque chose m’intrigue : j’appelle Amina.

— Amina, devine quoi !

— Tu as rencontré quelqu’un ?

— Comment tu as deviné ?

— Je te connais. Raconte !

Je lui raconte tout. L’aéroport. Le choc. Le message.

— Il t’a écrit ? s’écrie-t-elle.

— Oui, tout à l’heure.

— S’il t’a retrouvée, c’est qu’il est intéressé. Tu l’as marquée.

— Peut-être qu’il est marié, ou déjà pris…

— Ou peut-être que c’est ce genre de rencontre rare, que tu ne vis qu’une fois. Ne le laisse pas filer.

Je souris. Mais je ne sais pas encore. Je ne veux pas trop espérer.

Plus tard, seule dans ma chambre, je regarde encore son message. Ces mots simples. Ce prénom. Bachir.

Je ne sais pas ce que ça deviendra. Mais quelque chose, là, commence.

Narrateur externe

Dans sa chambre, Djamila referma doucement la fenêtre. L’air du soir caressait encore les rideaux. Paris semblait calme, étendu au loin derrière les vitres, mais dans sa tête, c’était tout le contraire. Le message était là, toujours affiché sur l’écran. Quelques mots simples, presque banals. Mais il y avait autre chose dans ce message. Un ton, un rythme, une douceur. Elle l’avait relu plusieurs fois, comme si ça allait l’aider à mieux comprendre ce qu’elle avait ressenti à l’aéroport.

Elle aurait pu ne pas répondre. Tourner la page. C’était juste une rencontre, après tout. Quelques secondes volées dans un couloir bondé. Mais non. Quelque chose l’avait poussée à répondre. Un mélange de curiosité, de prudence, d’envie aussi. Elle n’appelait pas ça de l’amour, pas encore. Mais c’était peut-être le début de quelque chose.

Alors elle avait répondu. Sobrement. Mais avec ce petit sourire qu’elle n’avait pas eu depuis longtemps.

De l’autre côté de la Manche, Bachir était toujours assis sur son lit. Le téléphone dans la main. L’écran brillait dans le noir. Il n’avait pas bougé depuis la réception de son message. Pas par surprise. Plutôt par émotion. Par ce frisson étrange qui lui parcourait l’échine.

Il n’aurait su dire ce qui l’avait autant touché chez cette fille. Sa voix ? Son regard ? Sa manière de rester discrète mais présente ? Tout chez elle semblait à la fois simple et fort. Et lui, l’homme rationnel, celui qui avait déjà une fiancée, une vie prévue, des projets en ordre, se retrouvait là… à sourire bêtement devant un téléphone.

Il avait tout tracé. Une union prévue, un avenir rangé. Mais cette rencontre, inattendue, avait déplacé quelque chose en lui. Comme si une pièce avait glissé sans qu’il ne la voie venir. Et depuis, même les gestes les plus simples — écrire un message, poser le téléphone, respirer — avaient une autre saveur.

Doucement, il posa le téléphone sur la table de nuit. Il s’allongea sans bruit, les yeux fixés au plafond. Et là, dans cette chambre d’hôtel impersonnelle, un sourire discret se dessina sur ses lèvres.

Le genre de sourire qui naît quand on pressent qu’une histoire commence.

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