Fiancé de ma soeur E6

Episode 6 - Paris, l'échappée belle

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Abdallah Bachir Ndao

Je n’ai presque pas dormi. J’ai repensé à tout. À sa façon de marcher en entrant dans le restaurant. À son sourire quand elle m’a salué. À sa voix. Djamila m’a complètement perturbé.

Je me suis réveillé très tôt. Mon téléphone affichait 6h48. Je l’ai gardé dans la main un long moment, sans savoir quoi écrire. Je ne voulais pas paraître trop pressé, ni distant. Mais la vérité, c’est que j’avais envie de la revoir.

Je me suis levé, j’ai ouvert les rideaux. Paris s’éveillait doucement. D’habitude, j’aime cette ville pour ses rendez-vous, ses cafés, ses mouvements. Mais aujourd’hui, rien ne m’intéressait plus que l’idée de la retrouver.

Je me suis assis au bord du lit, j’ai tapé une phrase, puis je l’ai effacée. Et encore une autre. Puis j’ai écrit simplement :

« Bien dormi ? Si tu es libre aujourd’hui, j’aimerais te revoir. Peut-être une balade ou un café ? »

J’ai hésité encore quelques secondes avant d’appuyer sur “envoyer”.

Je suis resté là, le téléphone posé à côté de moi, me demandant si elle allait répondre tout de suite ou prendre son temps. Je me suis surpris à sourire comme un adolescent.

Je n’ai aucune idée de ce qu’elle pense vraiment de moi. Mais ce que je sais, c’est que depuis qu’on s’est quittés hier soir, je n’ai pensé à rien d’autre qu’à elle.

Djamila Sow

Je venais à peine d’ouvrir les yeux quand j’ai vu son message. Mon cœur a battu un peu plus fort. J’ai relu les mots plusieurs fois :

« Bien dormi ? Si tu es libre aujourd’hui, j’aimerais te revoir. Peut-être une balade ou un café ? »

J’ai souri.

Ce n’était pas un message compliqué, ni exagérément romantique. Mais je l’ai trouvé doux. Juste ce qu’il fallait. Et surtout, il m’a fait du bien. J’ai tout de suite su que je voulais le revoir.

Je me suis tournée dans mon lit, le téléphone posé sur ma poitrine. J’ai pensé à la soirée d’hier. À son regard quand je suis entrée. À la manière dont il me regardait comme si rien d’autre ne comptait. C’était peut-être un jeu, peut-être rien de sérieux… mais j’avais aimé ça.

Et là, ce matin, ce message… c’était comme une parenthèse inattendue dans ma vie ordonnée.

J’ai tapé rapidement :

« Bien dormi aussi. Je suis libre cet après-midi. Une balade, ce serait parfait. Tu as une idée ? »

Je me suis relue, puis j’ai hésité une seconde avant d’envoyer. Trop directe ? Pas assez ?

Tant pis. J’ai cliqué sur envoyer.

Je me suis levée pour aller me doucher, et je me suis surprise à fredonner en préparant mes affaires. C’était léger, simple, et je n’avais pas envie d’y mettre trop de questions. Juste profiter de ce moment-là.

Je suis arrivée dix minutes en avance. Par réflexe. Je déteste faire attendre les gens. Mais là, ce n’était pas seulement ça. C’était une façon de calmer l’impatience, de reprendre le contrôle sur les battements de mon cœur.

Le jardin du Luxembourg était exactement comme je m’en souvenais. Les allées gravillonnées, les bancs en fer, les enfants qui courent derrière des voiliers miniatures. Tout avait ce charme particulier que Paris déploie les après-midis de printemps.

J’avais choisi une robe beige toute simple, des chaussures plates. Rien d’extraordinaire. Mais j’avais mis un peu plus de temps que d’habitude pour choisir mes boucles d’oreilles.

Je l’ai vu arriver de loin. Chemise claire, veste légère, l’air un peu fatigué, mais surtout… ce regard. Le même que la veille. Comme s’il était étonné de me voir là, comme si ma présence n’était jamais tout à fait réelle.

— Tu es arrivée avant moi, dit-il en souriant.

— J’avais besoin de marcher un peu, j’ai répondu.

Il m’a tendu la main. Un geste simple. Pas un baiser sur la joue, pas une étreinte. Juste cette main qu’il a gardée dans la mienne une seconde de plus que nécessaire.

On a commencé à marcher. Sans but précis. À travers les allées, entre les arbres, autour du bassin. Il parlait doucement. Moi aussi.

On a parlé de livres. Des voyages qu’on aimerait faire. Des souvenirs d’enfance. Il m’a raconté son père, un homme réservé, et sa mère, toujours un peu inquiète. Moi, j’ai parlé de ma sœur, de notre complicité étrange, de cette façon qu’elle a de prendre toute la lumière sans le vouloir.

Parfois, on ne disait rien. Et ce n’était pas gênant. Le silence — ce silence-là — me convenait. Ce n’était pas un vide. Plutôt une respiration.

Au bout d’une heure, on s’est assis sur un banc, face au bassin.

— J’aime bien ce moment, a-t-il dit. Juste là, maintenant. Il ne manque rien.

J’ai tourné la tête vers lui. Il me regardait avec cette même intensité tranquille. Comme s’il avait décidé que j’étais quelqu’un d’important, sans en avoir encore les preuves.

Je n’ai rien répondu. J’ai juste souri. Parce que moi aussi, j’aimais ce moment. Et pour une fois, je n’avais pas envie de tout analyser.

  Il avait raison. Il ne manquait rien. Mais justement, c’est ce qui m’a troublée.

Parce que dans ce genre de moment, j’ai toujours peur qu’il y ait un piège. Quelque chose que je n’aurais pas vu venir. Une ombre au tableau. Un nom qu’on ne mentionne pas.

Alors j’ai tourné un peu la tête. J’ai regardé droit devant, les enfants qui riaient autour du bassin, et j’ai posé la question comme si elle n’avait rien de spécial.

— Tu es en couple, Bachir ?

Je l’ai vu se redresser légèrement. Pas un sursaut. Mais un infime changement dans sa posture. Il a pris deux secondes. Peut-être trois.

— Non, a-t-il répondu. Je ne suis avec personne.

Il n’a pas ajouté d’explication. Pas de justification. Juste cette phrase, tranquille. Assumée.

Je l’ai regardé du coin de l’œil, un peu surprise. Il a soutenu mon regard. Longtemps. Pas pour me convaincre, je crois. Juste pour que je le croie.

— D’accord, j’ai murmuré.

Il a baissé les yeux vers ses mains. Les a frottées l’une contre l’autre.

— Pourquoi cette question ?

— Parce que je ne veux pas… être ce genre de fille qui se laisse embarquer sans poser les bonnes questions.

Il a souri, doucement.

— C’est tout à ton honneur.

On est restés là encore quelques minutes. Puis il m’a proposé de marcher jusqu’à un café pas loin. J’ai dit oui, sans hésiter.

Et pour la première fois depuis longtemps, j’avais l’impression que je n’avais pas besoin de me protéger. Pas tout de suite.

Abdallah Bachir Ndao

Je n’aurais pas dû mentir.

Les mots sont sortis trop vite. Trop naturellement. Comme si je les avais répétés mille fois dans ma tête.

« Je ne suis pas en couple. »

Ce n’était pas un mensonge total… mais c’était un mensonge quand même. Fiancé, ce n’est pas célibataire. Fiancé, ce n’est pas libre. Mais fiancé à quelqu’un qu’on n’aime plus — est-ce encore vraiment fiancé ?

Je ne sais plus.

J’ai vu son regard quand elle m’a posé la question. Direct, sans détour. Elle voulait savoir, et elle avait raison. Elle a le droit de savoir. Et moi… moi, j’ai choisi de taire la partie la plus importante.

Parce que dans ce moment suspendu, entre elle et moi, entre deux pas dans ce parc, je n’ai pas eu la force de casser cette bulle qu’on venait à peine de créer. Je ne voulais pas gâcher ce qu’on vivait.

Et pourtant, je sais que ça ne tient à rien. Une vérité étouffée finit toujours par éclater. Et quand elle le saura — parce qu’elle le saura forcément — elle ne verra que le mensonge. Elle ne retiendra pas l’hésitation dans ma voix, ni la tempête dans ma tête.

Je n’ai pas l’habitude de trahir. Je me suis toujours vu comme quelqu’un d’honnête, de droit. Mais avec elle, tout mon système a vrillé.

Je suis fiancé à une femme que je respecte, mais que je n’aime plus. Et je suis tombé sous le charme d’une femme que je ne devrais même pas fréquenter.

Djamila.

Elle ne sait rien. Ni de Linda, ni du chaos que je traîne. Elle me regarde avec cette lumière tranquille dans les yeux, comme si j’étais quelqu’un de bien.

Je ne sais pas comment ce mensonge va me revenir. Mais je sens déjà son poids. Et plus je m’attache à elle, plus il devient lourd.

Je crois que je suis en train de faire une bêtise. Une bêtise qui me rend terriblement heureux.

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