Silence du Barreau E13

Episode 13- 'L'amour est la sagesse du fou et la folie du sage.'

Narrateur externe

 Hadjara fait les cent pas, les bras croisés, furieuse. Abdourahmane Touré est debout près du minibar, un verre vide à la main. Il ne boit pas, il tremble.

— Tu te rends compte de ce que tu viens de faire ?! hurle-t-il soudain. Tu m’as fait perdre des années d’efforts pour un coup monté à dix millions !

Hadjara sursaute. Elle serre les poings.

— Papa, je t’ai dit que Fatou avait juré de ne jamais parler. Je ne comprends pas ce qui s’est passé.

— Ce qui s’est passé, Hadjara, c’est que tu es incompétente ! Tu t’es laissée attendrir par une gamine sans cervelle ! Je t’avais pourtant tout donné : l’argent, le plan, la légitimité… Et tu m’as foutu ça en l’air !

— Ce n’est pas de ma faute si cette Aïssata a mené son enquête jusqu’au bout…

Il la coupe net, furibond.

— Tu crois que je vais passer le reste de ma vie à faire le larbin dans la banque de mon propre frère ? À jouer les exécutants pendant que Souleymane parade avec la société de ta mère ?! Il fallait juste un mariage, Hadjara. Juste ça ! Et tu as tout raté.

Hadjara baisse les yeux. Les larmes montent, mais elle les ravale. Elle sait que pleurer devant lui serait inutile.

— Je vais trouver une solution, dit-elle à voix basse.

— Tais-toi. T’as déjà fait assez de dégâts. Tu n’es même pas fichue de manipuler un homme. Tu te dis forte, indépendante, et voilà que tu te fais écraser par une avocate de quartier !

Il jette violemment son verre vide contre le mur. Le bruit du verre brisé résonne dans toute la pièce.

Silence.

Hadjara relève la tête. Cette fois, dans son regard, il n’y a plus de peur. Juste une haine froide. Elle s’approche lentement.

— Je vais me débrouiller seule. Et crois-moi, Papa, tu regretteras ce que tu viens de me dire.

Elle tourne les talons et quitte la pièce.

Hadjara Touré

Je suis sortie comme une tornade, claquant la porte derrière moi. Mon père avait encore hurlé. Encore insulté. Encore répété qu’il avait tout fait pour moi et que je n’avais rien su obtenir.

Je marchais sans regarder où j’allais, le souffle court, la gorge serrée. Mes mains tremblaient de colère. D’humiliation. D’impuissance.

Tout était censé fonctionner. Tout. Mais Fatou Kine avait parlé, et le procès s’était effondré. Mon père me tenait pour responsable. Comme toujours. Mais il oubliait une chose : ce n’était pas finie.

 

J’ai sorti mon téléphone. J’ai appelé Mansour.

— Rejoins-moi. Tout de suite au lieu habituel.

Il a râlé. Il a posé des questions. J’ai raccroché.

Je savais qu’il viendrait

Il était là, dix minutes plus tard. Même regard ironique. Même posture nonchalante.

— Tu m’as l’air d’avoir passé une bonne journée, a-t-il lancé en entrant.

Je ne lui ai pas répondu. J’ai attendu qu’il s’assoie. Puis je me suis approchée. Lentement. Je l’ai regardé droit dans les yeux.

— J’ai besoin de toi, ai-je dit.

Il a ri. Un rire sec, sans chaleur.

— T’as toujours eu besoin de moi, Hadjara. Mais jamais pour les bonnes raisons.

— Cette fois, c’est différent.

Il m’a fixé, intrigué. Et j’ai parlé. Pas à haute voix. Pas pour que le lecteur sache. Mais pour que lui, Mansour, comprenne exactement ce que j’attendais.

Je lui ai tout dit. Le plan. L’objectif. Les risques. Et ce que lui, y gagnerait.

Son sourire a disparu.

— Tu veux vraiment que je… ?

Il a laissé sa phrase en suspens, le regard fuyant.

Je n’ai pas bougé.

— Tu m’as bien entendue.

Il s’est levé, a marché un peu dans la pièce, les mains dans les poches. Je le regardais faire, patiente. Je savais qu’il dirait non. Puis qu’il reviendrait. Et finalement, qu’il accepterait.

Il s’est arrêté devant moi.

— Hadjara… C’est grave, ce que tu me demandes.

— Ce qui est grave, c’est que tu crois encore que j’ai le choix.

Il a cligné des yeux. Puis il a soupiré. Il m’a dévisagée encore un instant.

— Bon sang…

Et il a hoché la tête.

Un seul signe. À contrecœur. Mais un accord est un accord.

 

 Souleymane Ba

Je ne me souvenais pas de la dernière fois où j’avais respiré aussi librement.

 

Je sortais à peine du tribunal, et j’avais marché quelques mètres sans but, juste pour savourer l’instant. Ce procès avait été une épreuve, mais la vérité avait triomphé. Et Hadjara… Hadjara s’était effondrée. J’aurais pu éprouver un peu de tristesse, un pincement, un regret.

Mais non. Rien.

C’était fini. Définitivement. Et ce n’était pas une perte. J’ai beaucoup donné pour cette femme, si c’est de l’argent qu’elle voulait, elle pouvait tout simplement m’en demander

J’ai sauté dans ma voiture et, sans réfléchir, j’ai roulé droit vers l’immeuble d’Abdoulaye. Mon frère de toujours. Il devait être au courant. Et j’avais besoin de lui dire que, pour une fois, j’allais bien.

Quand il m’a ouvert la porte, il a tout de suite compris. Mon sourire, mes yeux allumés.

— Toi, on dirait que t’as gagné au loto, a-t-il lancé en me laissant entrer.

— Mieux que ça. Je suis libre, Abdoulaye. Libre. Je me suis définitivement séparé de cette menteuse

Il a ri en me tapant l’épaule.

— Bien joué, mon gars. Franchement, tu le mérites.

Je me suis laissé tomber dans le canapé, enlevant ma veste.

— C’est bizarre, cette sensation. Comme si je venais de poser un sac de pierres. Je te jure, même mon souffle est plus léger.

Il m’a observé un instant, puis son visage s’est assombri. Il a tourné la tête. Un soupir.

— Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? ai-je demandé.

— C’est… Zouleykha. Son père s’est fait arrêter. Ibrahima Diagne. L’informaticien de la banque a découvert un gros détournement. Et boum, Fodé a porté plainte.

— Attends, quoi ? Le père de ta copine ?

Il a hoché la tête, l’air fatigué.

 

— Et le pire, c’est que je suis sûr qu’il est innocent. Mais tout le monde s’est empressé de le pointer du doigt. Abdourahmane Touré a tout balancé à son frère… Et voilà, Ibrahima est en prison.

J’ai réfléchi quelques secondes.

— Tu veux que j’en parle à Aïssata ? Elle est brillante. Si elle regarde le dossier, peut-être qu’elle pourra—

Il a levé la main.

— Inutile. C’est foutu. C’est ma tante Saïda qui défend la partie civile. Aïssata ne pourra rien faire. Elles travaillent ensemble sur cette affaire.

J’ai senti ma gorge se serrer pour lui.

 

Il y a quelques jours à peine, c’est moi qui m’écroulais sur son canapé, désemparé. Aujourd’hui, les rôles étaient inversés.

J’ai posé une main sur son épaule.

— On trouvera une solution. Je te le promets.

Il a esquissé un sourire discret.

Aïssata Diallo

Je n’avais jamais ressenti ce genre de fierté. Gagner mon premier procès a toujours été un rêve de jeune fille

Dans le cabinet, je racontais chaque instant de l’audience avec un enthousiasme que même moi je ne reconnaissais pas. Zeynabou m’écoutait, assise au bord de son fauteuil, les bras croisés mais le regard ému. Saïda, elle, m’observait avec un petit sourire discret, mais je la connais. Elle était fière. C’était son genre de reconnaissance silencieuse.

— Le juge a pris le rapport graphologique, il a annoncé que la signature était authentique. Hadjara a souri, pensant que c’était fini… Et là, Fatou Kine entre, sûre d’elle. Elle raconte tout. Jusqu’au deal avec Hadjara. Franchement, j’ai failli applaudir, ai-je lancé en riant.

— Tu as bien bossé, a dit Saïda, simplement. C’était risqué, mais tu as gardé ton calme jusqu’au bout.

— Bravo, Aïssata, a ajouté Zeynabou. Tu leur as cloué le bec. Ce procès, ce n’était pas évident. Et tu l’as mené jusqu’au bout.

Je souriais encore quand mon téléphone a vibré.

Souleymane Ba.

Un message s’est affiché :

“On trinque à la justice ce soir ? J’aimerais t’inviter à dîner. Pour fêter ça.”

Mon cœur a battu un peu plus vite, sans raison valable. Je me suis mordue la lèvre avant de répondre un simple “D’accord.”

quelques heures plus tard, je me retrouve devant le restaurant

Je l’ai vu descendre de sa voiture, debout devant le restaurant. Il m’attendait. Détendu, jean foncé, chemise claire, montre discrète. Il n’avait pas fait d’effort particulier, mais il dégageait une assurance tranquille qui me désarmait.

Quand il m’a vue, il s’est approché. Son regard s’est attardé sur moi. Pas avec insistance. Avec une douceur à laquelle je ne m’étais pas préparée.

— Tu es magnifique, a-t-il simplement dit.

J’ai esquissé un sourire. Ce n’était pas la première fois qu’un homme me le disait. Mais chez lui, il n’y avait ni jeu, ni calcul. Il semblait presque surpris lui-même.

Le dîner s’est passé dans un calme étrange. Un calme suspendu. Il m’observait. J’évitais de trop le fixer. On parlait, mais sans s’étendre. Comme si tout ce qu’il avait à me dire venait après.

 

Ce fut le cas.

Quand le serveur a débarrassé nos assiettes, il s’est redressé. Plus sérieux.

— Aïssata, je n’ai pas envie de tourner autour du pot. Ce que tu as fait pour moi… ce procès, ta ténacité… Je n’oublierai jamais.

— C’était mon travail, ai-je répondu.

— Peut-être. Mais personne ne s’est jamais autant battu pour moi.

Il a marqué une pause. J’ai senti son regard plus franc encore.

— J’ai envie de te connaître. Pour de vrai. Pas à travers des documents, pas dans une salle d’audience. Juste toi.

— Et si je te dis que ce n’est pas raisonnable ? que tu viens de traverser quelque chose de lourd, que tu n’as peut-être pas encore les idées claires ?

Il a haussé les épaules.

— Je t’ai observée, Aïssata. Depuis longtemps. Pas seulement pendant ce procès. Il y a une force en toi… quelque chose de net. Et je ne veux pas passer à côté. Tu me plais vraiment

_Souleymane….

_Sérieusement Aissata, ça ne date pas d’aujourd’hui. Je voulais juste régler ce problème avant de t’en parler

Je n’ai rien dit. J’étais prise de court. Émue, troublée. Je le regardais. Et je savais qu’il était sincère.

Il a souri, un peu gêné.

— Tu n’es pas obligée de répondre maintenant. Mais je voulais que tu le saches. Moi, j’ai déjà fait mon choix.

Ils changent machinalement de sujet pour détendre l’atmosphère. Souleymane dépose Aissata chez elle et cette dernière lui promet de réfléchir et de lui donner une réponse rapidement

 

 

 

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