Episode 16 Test ADN

Aïssata Diallo
Je n’aime pas les soupçons. Je préfère les faits. Mais depuis ce fameux nom — Zeynabou — prononcé par Souleymane, je n’arrive plus à regarder Me Fall de la même manière.
Je me suis surprise, ces derniers jours, à l’observer plus que je ne le devrais. Sa façon de marcher, de parler à ses clients, de sourire à moitié. C’était peut-être absurde, mais quelque chose en moi ne voulait pas lâcher.
Ce matin, quand je l’ai vue arriver au cabinet avec les traits tirés, le foulard mal posé et les gestes lents, j’ai su que c’était le moment.
Je me suis avancée vers son bureau, j’ai frappé deux fois. Une seconde de silence. Puis sa voix, affaiblie :
— Entrez.
J’ai ouvert doucement. Elle était assise derrière son bureau, les coudes sur les accoudoirs, le regard perdu dans un dossier.
— Bonjour Me Fall… vous avez l’air fatiguée. Tout va bien ?
Elle a levé les yeux vers moi. Un sourire poli, sans éclat.
— Je vais bien. Juste un peu de fatigue, c’est tout.
J’ai hésité une seconde, puis j’ai proposé :
— Vous voulez un verre d’eau ?
— Volontiers, merci.
Je suis sortie rapidement, direction la petite cuisine du cabinet. J’ai pris un verre propre, rempli d’eau fraîche, et je suis revenue le lui tendre.
Elle l’a bu par petites gorgées. Puis, sans y prêter attention, elle a posé le verre sur la table et s’est replongée dans ses papiers.
Je suis restée quelques minutes à lui parler de deux rendez-vous de l’après-midi, tout en gardant un œil sur le verre. Dès qu’elle a tourné la tête vers son écran, j’ai tendu la main, et je l’ai glissé dans un petit sachet transparent rangé dans mon sac.
Hier soir, j’avais fait la même chose chez Souleymane. Après notre dîner, pendant qu’il parlait au téléphone, j’avais discrètement récupéré le verre de jus de bissap qu’il venait de finir.
Je n’étais pas à l’aise avec ce que je faisais. Mais je ne pouvais pas faire semblant.
Si Souleymane et Zeynabou Fall étaient liés par le sang, alors cette vérité-là allait exploser, tôt ou tard. Et je devais être certaine avant de faire quoi que ce soit.
À la fin de la journée, je me suis rendue au laboratoire médical privé avec les deux échantillons soigneusement emballés.
Le réceptionniste n’a pas posé de question.
— Un test de comparaison ADN, s’il vous plaît, ai-je dit calmement. Discret, si possible.
Il a noté les échantillons, les a étiquetés, puis m’a tendu un reçu.
— Les résultats seront prêts dans deux jours. Vous pourrez les récupérer vendredi, à 10h.
J’ai hoché la tête, remercié, et je suis sortie sans me retourner.
J’avais encore deux jours pour me préparer à ce que j’allais découvrir.
Souleymane Ba
Je n’avais jamais été aussi nerveux. Ni devant le juge, ni en audience, ni même à la veille du procès. Mais ce soir, je tournais en rond dans ma chambre, incapable de me concentrer.
J’allais demander Aïssata en mariage.
L’idée me traversait depuis plusieurs semaines. Mais là, c’était différent. C’était décidé. Je cherchais simplement comment. Une lettre ? Un dîner ? Une bague glissée dans un dossier au cabinet ? Rien ne me semblait assez fort. Rien ne valait vraiment ce qu’elle représentait pour moi.
Je me suis assis sur le bord du lit, les mains jointes, le cœur un peu serré. Et puis, soudain, j’ai entendu des voix dans le salon. Faibles, mais claires.
Je n’ai pas bougé. J’ai tendu l’oreille.
— Ce garçon-là, il m’a toujours dérangé, disait une voix que je reconnus immédiatement : celle de ma tante, Ramatoulaye.
— Il a tout pris, répondit mon oncle Hachim, d’un ton plus froid encore. L’argent, la maison, même le nom. Et maintenant, il croit que tout lui appartient.
J’ai figé.
— Et tu sais le pire ? ajouta Ramatoulaye. Il ose marcher ici comme si on lui devait quelque chose. Alors qu’il n’est rien. Juste un enfant ramassé. On l’a nourri, élevé, habillé, et maintenant il veut nous dicter la loi ?
— Moi je te le dis, reprit Hachim, si Soda n’était pas morte, on l’aurait déjà mis dehors.
Ils ne savaient pas que j’étais là.
J’ai senti quelque chose me traverser, comme une gifle en pleine poitrine. J’ai respiré un grand coup, puis je suis sorti de ma chambre. Mes pas ont résonné dans le couloir. En arrivant dans le salon, je les ai trouvés tous les deux debout, figés, leurs visages blanchis par la surprise.
Je me suis arrêté juste devant eux. Pas de cri. Pas d’insulte.
— C’est donc ça que vous pensez de moi ?
Ils ont ouvert la bouche, mais aucun mot n’est sorti.
— Vous vivez ici, chez moi. Vous mangez ici. Vous recevez l’argent de mon entreprise. Et pourtant, vous me haïssez en silence ? Parce que j’ai repris ce que ma mère m’a laissé ? Parce que je ne vous obéis pas comme un petit chien ?
Ils baissaient les yeux.
— Si ce n’était pas par amour et par respect pour ma mère, je vous aurais déjà demandé de quitter cette maison.
Un silence.
— Mais ne vous y trompez pas. La prochaine parole de trop, le prochain regard de travers… et je ne retiendrai plus rien. Je vous dois la courtoisie, pas ma vie.
Je les ai laissés là, tremblants. Je suis retourné dans ma chambre, les mains froides.
Tout ce que je voulais, c’était demander Aïssata en mariage.
Mais ce soir, une chose était claire : Je ne ferai plus confiance aveuglément
Narrateur externe
Zouleykha n’avait pas vraiment envie de sortir. Encore moins de sourire. Mais Abdoulaye avait insisté. Il voulait lui changer les idées, la faire souffler un peu. Et surtout, il voulait la présenter officiellement à ses parents.
Alors elle avait accepté. Elle s’était préparée discrètement, sans extravagance. Un foulard clair, un petit chemisier beige, un maquillage léger. Rien qui n’attire l’attention. Ce soir, elle voulait juste être correcte.
Quand elle arriva chez Abdoulaye, Rougui, sa mère, l’accueillit avec gentillesse. Une femme calme, élégante, d’un naturel rassurant. Saliou, le père, était là lui aussi, le regard franc, la poignée de main ferme. L’ambiance était chaleureuse, simple.
— On entend souvent parler de vous, lança Saliou avec un sourire en coin. Mon fils n’a pas tari d’éloges.
Zouleykha avait souri poliment, consciente du décalage entre l’atmosphère du dîner et ce qu’elle ressentait à l’intérieur.
Ils avaient discuté de choses légères. Rougui avait posé quelques questions sur ses études, sur son travail. Zouleykha avait répondu avec tact, évitant soigneusement tout sujet lié à sa famille.
Le repas s’était bien passé. La nourriture était bonne, l’ambiance paisible. Mais Zouleykha n’était pas là. Elle faisait bonne figure, mais son esprit était ailleurs. Elle pensait à son père, à sa cellule, à sa détention injuste, à l’humiliation que tout cela provoquait.
Après le dessert, elle s’était levée doucement.
— Merci beaucoup pour votre accueil. C’était vraiment gentil de votre part.
Rougui l’avait raccompagnée jusqu’à la porte.
— Reviens quand tu veux, ma fille. Ici c’est chez toi.
Zouleykha avait souri une dernière fois, puis elle était montée dans la voiture avec Abdoulaye, silencieuse. Il l’avait déposée devant chez elle, l’avait regardée longuement avant qu’elle ne descende. Elle n’avait pas dit grand-chose. Elle n’en avait pas la force.
A son retour, Abdoulaye était resté dans le salon. Son père, Saliou, observait son fils, les bras croisés.
— Elle est bien, cette fille. Discrète, posée. Et belle, en plus. Tu as de la chance, Abdoulaye.
Ce dernier hésita. Puis il s’assit à son tour.
— Papa… faut que je te dise un truc.
Saliou fronça légèrement les sourcils.
— Le père de Zouleykha… est en prison.
Un silence tendu s’installa.
— Pour quoi ?
— Détournement de fonds. C’est en cours d’instruction. Et…
Abdoulaye marqua une pause, gêné.
— …et c’est tata Saïda qui représente la partie civile.
Le visage de Saliou se figea.
— Saïda ? Ta tante ? Elle représente la banque ?
— Oui. Et elle ne sait pas que je suis avec la fille de l’accusé.
Saliou se passa la main sur le front.
— Et la fille de cet homme, tu veux l’épouser ?
Abdoulaye hocha la tête sans hésiter.
— Elle n’a rien à voir avec cette histoire. Elle souffre déjà assez. Et elle m’aime, Je l’aime aussi. Son père est un homme bien. Il est juste accusé à tord
Saliou resta silencieux un moment. Puis il soupira.
— Je vais parler à ta tante. Je ne peux pas la forcer à abandonner le dossier ou de défendre le père de Zouleykha mais je vais quand même essayer.
Abdoulaye acquiesça. Il savait que son père ne promettait jamais à la légère.
Mais ce que ni l’un ni l’autre ne savait, c’est que ce nom — Zouleykha — allait faire exploser bien plus que des querelles de famille.
Et que la véritable tempête ne venait que de commencer.
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