Episode 20 - La vérité peut être destructrice...

Narrateur externe
Dans son bureau, Saïda Diop repose lentement son téléphone, les traits crispés. C’est Saliou qui vient de l’appeler.
Rougui refuse toujours. Elle ne veut pas qu’Abdoulaye apprenne la vérité.
— Elle a peur de le perdre, a murmuré Saliou, la gorge nouée.
— Mais c’est lui qui est en danger, a répondu Saïda, le souffle court.
Elle n’en peut plus. Cette vérité qui l’écrase depuis des années est sur le point d’exploser. Et si elle ne fait rien, il sera trop tard. Elle se lève d’un bond, attrape ses clés, et quitte son cabinet d’un pas pressé
Chez les Diop, la tension est palpable.
Rougui est assise dans le salon, droite, méfiante, presque prête à se défendre. Elle savait que Saïda viendrait.
Quand cette dernière entre sans même saluer, Rougui se lève d’un coup.
— Tu ne peux pas le garder dans l’ignorance plus longtemps, Rougui ! s’exclame Saïda, les yeux brillants d’émotion.
— Tu crois que c’est facile pour moi ?! crie Rougui, blessée. Tu m’as confié Abdoulaye dès sa naissance. Moi, je l’ai aimé, je l’ai élevé comme mon propre fils !
— Je sais… je t’en serai toujours reconnaissante. Mais il s’apprête à épouser sa sœur ! Sa propre sœur, Rougui ! Tu veux porter ça aussi ?
Rougui serre les poings. Elle tremble.
— C’est mon fils, Saïda. Mon seul enfant. Je ne peux pas le perdre. Il ne me regardera plus jamais de la même façon.
— Il a le droit de savoir, Rougui. Le droit de connaître son histoire. Et moi, j’ai le devoir de le lui dire.
Un silence tendu s’installe. Trop lourd. Trop profond.
C’est à cet instant précis qu’une voix surgit derrière elles, brisant tout :
— “Quelqu’un peut m’expliquer ce qui se passe ici ?”
Les deux femmes se figent. Lentement, elles se retournent.
Abdoulaye est là. Debout, abasourdi, les yeux rivés sur elles.
— Comment ça je suis ton fils ? dit-il, la voix cassée, en regardant Saïda.
Le silence lui répond.
Puis Saïda s’approche, lentement, le cœur en miettes.
— Oui, Abdoulaye… Je suis ta mère.
Il recule. Rougui tente de s’approcher, il l’arrête d’un geste.
— Et mon père ?… C’est qui mon père ?
Saïda ferme les yeux un instant. Elle déglutit.
— Ibrahima Diagne.
Il reste figé.
— Non… Non… C’est impossible. C’est le père de Zouleykha !
Rougui tente de parler. Il l’arrête net :
— Ça veut dire… Elle est ma sœur ?!
Il a du mal à respirer. Saïda s’avance encore, mais il recule. Il tremble. Il vacille.
— Vous m’avez menti toute ma vie, souffle-t-il. Et vous alliez me laisser commettre l’irréparable ?
Il tourne les talons. Rougui s’élance pour le rattraper, mais il claque la porte.
Saïda s’effondre sur le canapé. Rougui sanglote à genoux.
Aucun mot ne peut réparer ce qui vient d’être brisé.
La nuit est tombée depuis longtemps, mais Abdoulaye ne sent pas le froid.
Il marche sans but précis, le visage figé, les mains tremblantes.
Il finit par s’arrêter devant la maison de Zouleykha.
Il ne sait même pas comment il est arrivé là. Peut-être l’habitude. Peut-être l’instinct.
Il frappe. Une fois. Deux fois. Zouleykha vient ouvrir en t-shirt large et pantalon de coton.
Elle sourit à sa vue, comme d’habitude.
— Abdou, qu’est-ce que tu fais là à cette heure-ci ? Tu m’as fait peur…
Il ne répond pas. Il entre sans un mot. Elle referme la porte derrière lui.
Quand elle se retourne, elle le voit. Assis sur le canapé. Tête baissée. Mains sur les genoux. Silencieux.
— Qu’est-ce qui ne va pas ? demande-t-elle doucement.
Il lève les yeux. Elle recule sans s’en rendre compte. Il a l’air d’un homme qui revient du gouffre.
— J’ai appris quelque chose, finit-il par dire. Quelque chose que je n’aurais jamais dû apprendre comme ça.
— Tu me fais peur Abdoulaye…
Il inspire profondément. Il essaie de mettre de l’ordre dans ses pensées, mais tout se bouscule.
Alors il parle. D’un trait. D’un seul souffle.
— Je ne suis pas le fils de Rougui. C’est Saïda, l’avocate… c’est elle, ma mère.
Zouleykha reste figée. Elle ne comprend pas tout de suite.
— Saïda Diop ? Mais elle est censée être la sœur de ton père non… ?
_ C’est ce que je pensais jusqu’à aujourd’hui. Si je n’avais pas assisté par hasard à cette scène, ils auraient peut-être continué de me mentir froidement
_Mais comment tu t’es retrouvé dans cette situation ? Ils t’ont au moins donné d’explication
— je n’ai pas eu le temps de demander des explications après la bombe qui a suivi cette révélation
_ Donc il reste encore une autre révélation ?
Zouleykha recule d’un pas. Elle sent que quelque chose d’encore plus grave arrive. Il n’a pas fini.
—Et crois moi c’est encore pire. Ils ont dit que mon père c’est Ibrahima Diagne et tu es ma demie sœur
Le nom fait frissonner les murs.
Zouleykha reste bouche bée.
— Non Abdoulaye c’est impossible, mon père n’a eu que moi comme enfant.
Le silence tombe, lourd, brutal.
Elle recule de deux pas, s’appuie contre le mur, incapable de tenir debout.
— Non… non… ce n’est pas possible… continua Zouleykha visiblement sous le choc
— Je suis désolé, murmure-t-il. Je suis tellement désolé.
Elle fond en larmes, le visage entre les mains. Elle suffoque. Elle ne veut pas y croire.
— On devait se marier, Abdoulaye ! On allait construire une vie ensemble ! Pourquoi… cela nous arrive à nous ?
Il n’a pas de réponse. Il ne pleure pas. Pas encore. Il la regarde. Il l’aime. Il l’a toujours aimée. Et il sait maintenant que c’est une relation impossible, un amour interdit.
Il s’approche, lentement. Il pose une main sur son épaule. Elle ne le repousse pas. Elle pleure. Il la serre dans ses bras. Ils restent là, longtemps. Deux âmes brisées. Deux amours devenus impossibles.
Quand il se lève pour partir, elle ne dit rien. Elle le regarde franchir la porte, les yeux rouges.
Il ne se retourne pas.
Il sait qu’il vient de quitter la femme de sa vie.
Et qu’il ne pourra jamais revenir.
De son côté, Souleymane était assis dans son salon, plongé dans un calme étrange. Il n’arrivait pas à détacher ses yeux du cadre photo posé sur la table basse. Un portrait d’Aissata, pris à la volée un jour où elle riait aux éclats.
Ce soir, il avait prévu de partager la plus grande nouvelle de sa vie : il avait retrouvé sa mère.
Enfin.
Mais la sonnette retentit. Une fois. Puis encore. Avec insistance.
Il se leva précipitamment. Ouvrit la porte.
Abdoulaye.
Mais pas le Abdoulaye qu’il connaissait. Ce n’était plus le jeune homme sûr de lui, bien habillé, fièrement dressé comme un héritier. C’était un homme défait. Dévasté. Les yeux rouges. Le visage creusé. Comme s’il n’avait pas dormi depuis des jours.
— Entre, dit Souleymane sans poser de questions.
Abdoulaye entra, sans un mot. Il s’écroula sur le canapé, sans même retirer ses chaussures.
Souleymane le rejoignit, inquiet.
— Abdou… Qu’est-ce qu’il y a ? Il s’est passé quelque chose avec Zouleykha ?
Le nom fit sursauter Abdoulaye. Il prit une profonde inspiration. Puis, lentement, les mots sortirent.
Pas de fierté. Pas de filtre. Juste la douleur nue.
— Saïda Diop… c’est ma mère biologique.
Souleymane fronça les sourcils. Il ne comprenait pas.
— Attends… je croyais que…
— Moi aussi, coupa Abdoulaye. Moi aussi je croyais que Rougui était ma mère. Depuis toujours. Elle m’a élevé comme si j’étais son fils. Mais je suis le fils de Saïda.
Un frisson parcourut Souleymane.
— Le pire, c’est Ibrahima Diagne, le père de Zouleykha, mon père biologique
Souleymane ouvrit la bouche mais aucun mot ne sortit. Il s’enfonça dans le canapé, une main sur la bouche.
— Je suis détruit de l’intérieur mon frère, tu imagines une femme avec qui tu es en couple pendant des mois, celle qui allait devenir ton épouse, la mère de tes enfants, celle avec qui tu as tracé tous tes projets, tu apprends du jour au lendemain qu’elle est ta sœur. Tout ça ç cause des cachoteries. Maintenant nous allons payer le prix fort, nous sommes les dommages collatéraux de cette histoire. Quelle injustice !
Le silence tomba, glacial.
Souleymane détourna les yeux, bouleversé. Puis, il craqua.
Lentement, il ne pouvait s’empêcher de verser quelques gouttes de larmes. Lui qui se disait souvent que Abdoulaye au moins connaissait ses vrais parents, sa vraie identité. Hélas, dans la vie rien n’est jamais acquis
Abdoulaye le regarda, surpris.
— Qu’est-ce qu’il y a ? Pourquoi tu pleures comme ça ?
Souleymane secoua la tête.
— Parce que je comprends… Parce que je viens à peine de retrouver ma mère, et toi tu viens de découvrir la tienne. Mais au prix de tout perdre.
Il reprit sa respiration, entre deux sanglots.
— Parce que je croyais que nos douleurs touchaient à leur fin, mais elles ne font que changer de visage. On croyait enfin sortir du noir, mais on tombe juste dans une autre forme d’obscurité.
Abdoulaye posa une main sur l’épaule de son ami.
Ils restèrent là. Deux frères sans le dire. Deux enfants perdus dans des histoires d’adultes.
Souleymane se redressa lentement.
— On ne va pas se laisser détruire, Abdou. Pas maintenant. Pas après tout ce qu’on a traversé.
Il essuya ses yeux, inspira profondément.
— Demain, tu vas me suivre quelque part. J’ai besoin de te présenter quelqu’un. Toi aussi, tu mérites de poser les bonnes questions. Et d’avoir les vraies réponses.
Abdoulaye acquiesça faiblement. Saida Diop devra lui fournir des explications claires
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