Episode 22: L'arroseur arrosé

Souleymane BA
Cela faisait deux jours qu’elle ne répondait plus. Aucun appel décroché. Aucun message lu. Et je commençais à craindre le pire — pas un accident, non. Le pire, c’était qu’elle m’évite. Délibérément.
Alors je suis allé l’attendre. Devant le bâtiment du cabinet. Appuyé contre ma voiture, les mains dans les poches, le cœur lourd.
Elle est sortie un peu avant 18h, élégante comme toujours, son sac sur l’épaule, le regard droit devant. Mais quand elle m’a vu, elle a ralenti.
— Aïssata…
Elle s’est arrêtée. Pas fuyante. Pas agressive. Mais distante.
— Qu’est-ce que tu fais là, Souleymane ?
— On doit parler, j’ai essayé de te joindre toute la journée.
Elle a levé les yeux vers moi, l’air las.
— Je sais.
Un silence s’est installé. Je me suis avancé.
— Tu m’évites ?
— J’ai entendu ce que j’avais besoin d’entendre.
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
Elle a soupiré. Longuement. Puis, d’une voix plus basse :
— Hadjara. Elle dit qu’elle est enceinte de toi.
Je suis resté figé une seconde. Je savais que ce moment viendrait, mais je ne savais pas qu’il ferait aussi mal.
— Ce n’est pas ce que tu crois. Elle est venue me voir à l’improviste. Elle m’a balancé ça comme une bombe. Je n’étais pas au courant, je te le jure.
Aïssata m’a regardé. Longtemps. Dans ses yeux, je n’ai vu ni colère, ni haine. Juste… une immense déception.
— Tu sais ce qui me fait le plus mal, Souleymane ? Ce n’est pas qu’elle soit enceinte. C’est que tu ne me l’aies pas dit tout de suite. Tu savais. Et tu ne m’a rien dit..
— J’ai eu peur. Peur de te perdre. Peur que tu me regardes autrement.
— Mais je te regarde autrement, maintenant.
Je n’ai rien trouvé à dire. Les mots m’ont échappé. J’ai tendu la main vers elle, instinctivement. Elle a reculé d’un pas.
— Je t’aime, Aïssata. Et je ne veux pas que cette femme détruise ce qu’on construit.
Elle m’a regardé droit dans les yeux.
— Alors prouve-le. Prends tes responsabilités. Mets les choses au clair. Je ne peux pas avancer dans une histoire où je suis toujours « l’autre »
Elle a tourné les talons, a fait quelques pas. Puis elle s’est retournée.
— Si tu veux qu’on se parle à nouveau, commence par démêler tout ça. Tu sais où me trouver.
Et elle est partie.
Je suis resté là, planté sur le trottoir, avec ce goût amer dans la bouche. J’avais tout gâché. Et maintenant, il ne me restait plus qu’une seule chose à faire : obtenir la vérité. Officiellement.
Narrateur externe
Le soleil déclinait derrière les grandes vitres du cabinet. L’ambiance feutrée du bureau contrastait avec les remous que chacune portait dans le cœur. Zeynabou, droite derrière son bureau, referma un dossier avant de relever la tête vers Saïda, assise en face d’elle. Il y avait dans son regard une douceur inhabituelle. Une lumière nouvelle.
— Tu es rayonnante aujourd’hui, dit Saïda doucement. Y’a quelque chose… tu as l’air… légère.
Zeynabou sourit. Un sourire rare. Un sourire venu de loin.
— Je l’ai retrouvé.
— Qui ?
— Mon fils.
Saïda resta figée une seconde. Puis elle écarquilla les yeux, abasourdie.
— Ton fils… ton fils n’est pas mort à la naissance ?
Zeynabou hocha lentement la tête. Elle sentit ses yeux s’humidifier, mais elle laissa couler.
— Il est vivant, Saida et tu ne dévineras jamais ui sait ? pourtant il était là, sous mes yeux et je n’ai jamais su ui c’était mon fils.
— De ui il s’agit demande Saida curieuse
_ C’est Souleymane Ba, le même ui a été victime de complot
— Waouh ! Je suis ébahie, tu vois la vie nous réserve toujours de bonnes surprises. Mais comment as-tu su ?
Zeynabou lui raconte tout, ce que Aminata Seck, la sage-femme a fait, et l’adoption de Souleymane par Soda Marième BA
_ Je ne comprends pas comment quelqu’un peut être aussi vicieuse et ignoble. Séparer une mère de son fils en lui faisant croire qu’il est décédé c’est un acte criminel.
— Cela fait partie des vices de l’être humain, certains sont prêts à tout pour l’argent
Un sanglot discret la prit, et Saïda la serra dans ses bras.
— Tu le mérites. Après tout ce que tu as traversé. Dieu est juste.
Un silence tendre s’installa. Puis, comme si un poids lui revenait en mémoire, Saïda se détacha doucement.
— Tu sais, moi aussi… mon passé est revenu me frapper de plein fouet.
Zeynabou la regarda, intriguée.
— Abdoulaye. Mon fils.
— Il va bien ?
Saïda hésita, puis soupira.
— Il a appris la vérité. Sur tout. Sur moi… sur son père biologique.
Zeynabou fronça les sourcils.
— Il sait pour… Ibrahima Diagne ?
— Oui. Ibrrahima était en réalité son collègue, Et le pire, c’est qu’Abdoulaye… il était fiancé à la fille de ce dernier
— …Sa propre sœur ?
Saïda acquiesça lentement, la gorge nouée.
— Il l’aimait. Vraiment. Ils étaient sur le point de se marier. Il est venu me voir le lendemain. Il m’a traité de lâche, de menteuse. Et je n’ai rien pu dire. Parce qu’il avait raison.
Zeynabou posa une main rassurante sur l’épaule de son amie.
— Tu as fait ce que tu pouvais, à l’époque. Tu étais une jeune fille, violée, abandonnée. Tu as survécu.
— Mais à quel prix ? J’ai donné naissance à un enfant que j’ai abandonné à mon frère. Et maintenant, il souffre. Il a perdu l’amour de sa vie, il ne sait plus qui il est… Et moi, je suis là, impuissante.
Zeynabou prit sa main, la serra avec chaleur.
— Ce que tu peux faire maintenant, c’est être là pour lui. L’écouter. Te racheter, s’il t’en donne l’occasion. Mais ne reste pas figée dans la culpabilité.
Un silence. Puis Zeynabou reprit, plus doucement.
— Tu sais… toutes les deux, on a perdu nos fils une première fois. Mais aujourd’hui, on les retrouve. Peut-être que c’est à nous de réparer ce que d’autres ont brisé.
Saïda baissa la tête. Une larme coula sur sa joue.
— C’est fou… Je t’ai toujours vue comme cette femme forte, brillante, au-dessus de tout. Et je découvre aujourd’hui qu’on se ressemble bien plus qu’on ne le croyait.
Zeynabou sourit. Un sourire triste mais sincère.
— Peut-être que c’est pour ça qu’on s’est toujours comprises, Saïda.
Souleymane BA
Je suis resté planté devant sa porte pendant quelques secondes.
J’aurais pu envoyer quelqu’un. J’aurais pu appeler. Mais non. Cette fois, je devais la regarder dans les yeux. Il fallait qu’elle me le dise, là, en face, sans détour. Parce que tout en moi refusait d’y croire… mais une part de moi voulait être sûr. Définitivement.
Elle a ouvert. Comme si elle m’attendait.
— Souleymane ? Tu viens… pour parler du bébé ?
Elle l’a dit naturellement. Avec ce petit ton victimaire qu’elle utilise quand elle sent que la vérité n’est pas en sa faveur.
Je suis entré sans répondre.
— Prends tes affaires. On va à l’hôpital. Tout de suite.
Elle a croisé les bras.
— Tu ne me fais donc pas confiance ? Tu crois que j’invente ma grossesse ?
— Je ne crois plus rien, Hadjara. Et je ne suis pas là pour discuter. Tu viens, ou je reviens avec un huissier.
Elle a haussé les épaules, faussement sûre d’elle. Mais je voyais la panique dans ses yeux. Elle ne s’attendait pas à ce que je sois aussi direct.
Elle a pris son sac. On n’a pas échangé un mot dans l’ascenseur.
Dans la voiture, elle a tenté de détendre l’atmosphère :
— Tu sais… je comprends que tu sois bouleversé. Cette grossesse, je ne l’avais pas planifiée. Mais c’est peut-être un signe. Peut-être qu’on a encore quelque chose à vivre…
Je l’ai coupée net.
— Tais-toi, Hadjara.
Elle s’est renfrognée. Plus un mot.
À l’hôpital, on nous a fait patienter une bonne demi-heure. Elle feuilletait un magazine, comme si on était là pour une simple visite de routine.
Moi, je fixais le mur. Mon cœur cognait dans ma poitrine.
La gynécologue nous a reçus dans une petite salle. Bureau d’un côté, lit d’auscultation de l’autre. Elle a pris le dossier que Hadjara lui avait donné à l’accueil.
— Alors… vous êtes là pour une datation de grossesse, c’est bien ça ?
J’ai répondu à sa place :
— Oui. Une datation très précise.
Le ton que j’ai pris l’a surprise. Mais elle n’a rien dit. Elle s’est contentée de poser quelques questions, puis a procédé à l’examen.
Quelques minutes plus tard, elle s’est rassis à son bureau.
— D’après l’échographie et les marqueurs biologiques, Madame Touré est enceinte d’environ quatre semaines.
Quatre semaines.
Tout s’est figé.
Je me suis lentement tourné vers Hadjara. Elle gardait la tête baissée.
Quatre semaines ?
— Vous êtes sûre ? ai-je demandé à la médecin.
— Aussi sûre qu’on peut l’être avec une échographie. La grossesse date d’environ un mois.
J’ai senti le sang me quitter le visage.
— Je n’ai pas été en contact intime avec cette femme depuis plus de trois mois.
Silence.
Hadjara a ouvert la bouche.
— C’est faux ! Tu mens, tu… tu veux juste te débarrasser de moi !
Je me suis levé. Lentement. Mon regard dans le sien. Tranchant.
— Tu mens, Hadjara. Tu mens encore.
Elle a commencé à pleurer. Ou plutôt… elle a essayé. Elle a toujours su pleurer sur commande. Mais cette fois, je ne voyais que la honte.
— Souleymane stp, ne me fais pas ça, c’est peut-être une erreur médicale !
Je n’ai pas répondu. J’ai regardé la médecin.
— Merci pour votre professionnalisme.
Et je me suis dirigé vers la porte.
— Souleymane, reviens ! Reviens, je t’en supplie !
Je me suis arrêté. Juste une seconde.
— Tu as détruit ce qu’on avait de pire des façons. Et aujourd’hui, tu veux encore jouer avec ma vie. C’est fini, Hadjara. Fini pour de bon.
Je suis sorti. En laissant la porte se refermer derrière moi. Avec un soulagement amer.
Narrateur externe
Hadjara avançait à pas pressés dans les allées de l’immeuble cossu où vivait Mansour Hann. Les yeux rouges, la voix tremblante, elle tenait fermement son sac contre sa poitrine, comme si ça pouvait contenir le tourbillon de honte et de désespoir qui menaçait de l’écraser.
Elle monta les escaliers d’un pas fébrile. À chaque palier, elle répétait dans sa tête ce qu’elle allait lui dire.
« Il doit savoir. Il a le droit de savoir. C’est son enfant… »
Arrivée devant la porte de Mansour, elle n’eut même pas à frapper. La porte était entrouverte. Elle hésita une seconde, puis poussa doucement.
— Mansour ?
Et elle entendit des éclats de rire. Une voix féminine.
Elle s’avança. Puis elle le vit.
Mansour était là, assis confortablement dans un fauteuil, un verre de jus à la main, en chemise légère. En face de lui, une femme en robe moulante riait bruyamment à une blague qu’il venait de lancer. L’ambiance était intime. Complice.
Quand il vit Hadjara, il se figea. La femme se tourna à son tour, un peu surprise.
— Hadjara ? Qu’est-ce que tu fais là ?
Hadjara ne répondit pas tout de suite. Elle avait le souffle coupé. Elle regarda tour à tour Mansour et l’inconnue, comme si elle espérait que tout cela n’était qu’un mauvais rêve.
— On peut parler… s’il te plaît ? En privé ?
Mansour souffla bruyamment.
— Aïcha, tu peux nous laisser deux minutes ?
La femme haussa les épaules, se leva sans un mot, et se dirigea vers une autre pièce. Hadjara s’avança, le regard suppliant.
— Je… je suis enceinte.
Il ne réagit pas.
Elle reprit, la voix brisée :
— Je suis enceinte de toi, Mansour.
Un silence.
Puis il éclata de rire. Un rire sec, amer, presque cruel.
— Et tu crois que ça m’intéresse ? Tu veux que je saute de joie ? Tu veux que je t’épouse peut-être ?
Hadjara blêmit.
— Mais… c’est ton enfant…
— Mon enfant ? Hadjara… tu m’as trahi pour Souleymane Ba. Tu t’en souviens ? Tu m’as effacé comme si je n’avais jamais existé. T’étais prête à tout pour porter son nom.
Il se leva lentement, planta son regard dans le sien.
— Tu sais ce quoi vas chercher le père de ton enfant car il n’est pas ici. Je suis sûr que Souleymane t’a rejetée sinon tu ne serais pas là. Ne comptes pas sur moi pour élever ton batard.
Elle tenta de le toucher, en larmes.
— Mansour, tu ne peux pas dire ça… Je suis enceinte. Je suis seule.
— Et moi je me marie dans deux mois. Avec une femme digne de ce nom. Pas une manipulatrice qui saute sur le premier PDG venu.
Ses mots la frappèrent comme des gifles.
— Tu peux me haïr, Hadjara. Tu peux pleurer, supplier… mais ne me mêle plus jamais à ta misérable histoire. Je n’ai rien à faire de toi, ni de ce gamin. C’est clair ?
Elle resta figée. Puis recula lentement. Les larmes ruisselaient sur ses joues.
Elle sortit, chancelante, le cœur brisé, l’âme en ruines. Elle descendit les escaliers sans vraiment les voir, la gorge nouée.
Dans la rue, elle s’arrêta. Le monde tournait autour d’elle, bruyant, indifférent. Elle, elle avait tout perdu.
Lire épisode 23 Silence du Barreau