deux lunes, un ciel E20

Episode 20 - Les masques tombent

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Le claquement des talons de Rosa fendait le couloir, régulier, assuré, presque insolent. Drapée dans une robe émeraude qui épousait ses formes comme un serment de victoire, elle avançait vers la chambre de Fatima, un plateau de fruits à la main. Le visage maquillé avec une précision chirurgicale, elle souriait. Une grimace déguisée en courtoisie.

Mais à peine eut-elle atteint le seuil que la voix de Fatima, sèche, tranchante, fusa comme un couperet :

— Pose ça. Je n’ai rien à manger de toi.

Rosa s’arrêta, surprise. Fatima se tenait debout près de la fenêtre, bras croisés, le regard noir d’une tempête à peine contenue. Elle avait l’air d’avoir attendu ce moment. Rosa haussa les sourcils, faussement naïve.

— Je voulais simplement…

— Épargnes-moi. Ton petit numéro de belle-mère attentionnée, garde-le pour d’autres. Je ne suis pas dupe.

Elle s’approcha lentement, planta ses yeux dans les siens, la voix chargée d’un calme glacial :

— Tu crois que je vais m’asseoir, sourire, et t’appeler “belle-maman” ? Après ce que tu as fait ? Tu t’es mariée avec mon père en cachette, Rosa. Et tu viens ici me servir des fruits ? Tu te moques de qui ?

— Ton père est un homme libre, répliqua Rosa en posant le plateau sur la commode, le ton plus sec. Il m’a choisie. Ce n’est pas un crime.

— Il t’a choisie… ou tu l’as piégé ? Tu crois que j’ignore ce que tu faisais ces derniers mois ? Tu crois que je n’ai pas vu clair dans ton petit jeu ?

Rosa se raidit. Mais Fatima continuait, plus proche, plus mordante :

— Je sais tout, Rosa. Tes fréquentations douteuses. Tes combines. Les hommes que tu fais chanter. Les photos. Les messages. Tu veux que je te les montre ? Tu penses que papa resterait avec toi s’il savait qui tu es vraiment ?

Rosa blêmit. Mais elle se redressa, le menton haut, une lueur de défi dans les yeux.

— Vas-y. Dénonce-moi. J’assume tout. Mais rappelle-toi une chose, Fatima. Moi, au moins… je ne choisis pas des hommes qui ne m’aiment pas.

Fatima recula d’un pas. Le coup était bien porté. Elle vacilla, mais resta droite.

— Qu’est-ce que tu viens de dire ?

— Khalil. Il ne t’a jamais aimée. Tu l’as su dès le départ, mais tu as fermé les yeux. Parce que toi aussi, tu avais besoin d’exister à travers quelqu’un. Sauf que lui… n’a jamais vu que ta sœur.

Le silence qui suivit était chargé de plomb. Les deux femmes se dévisageaient, deux armées prêtes à la dernière charge.

— Sors d’ici, articula Fatima d’une voix basse, brisée.

— Avec plaisir, répondit Rosa, le regard tranchant. Mais n’oublie pas, chérie : quand on vit dans le mensonge, il faut apprendre à perdre sans éclats.

Elle tourna les talons, quittant la pièce avec la même démarche conquérante qu’à l’aller.

Mais ses mains tremblaient.

Et dans les yeux de Fatima, la rage avait laissé place à quelque chose de plus sourd. Un vertige. Comme si la trahison avait pris un autre nom. Et qu’au cœur de la guerre… ce n’était plus Rosa qu’elle voulait abattre.

C’était elle-même qu’elle ne supportait plus de voir.

À l’autre bout de la ville, Malick Faye traînait sa valise jusqu’au hall de départ de l’aéroport, les traits tirés, le cœur étouffé par un trop-plein d’émotions qu’il refusait encore de nommer. Il s’apprêtait à s’envoler pour Abidjan. Fuir. Oublier. Recommencer ailleurs.

Mais le destin, une fois encore, décida autrement.

Le vol fut annulé.

Sans raison valable. Juste une panne technique ou une réorganisation logistique, peu importait. Il haussa les épaules, résigné. Aucun regret. Il n’avait pas vraiment envie de partir, il le comprit trop tard.

Il décida de rentrer chez lui. Sans prévenir personne. Il voulait simplement une douche, un lit, et le droit au silence.

En poussant la porte de sa maison, il fut frappé par l’étrange quiétude des lieux. Trop tranquille. Aucun bruit de vaisselle, aucun éclat de voix. Même le tic-tac de l’horloge semblait hésiter.

Il grimpa les escaliers, machinalement, son sac à la main. Puis un éclat de rire, étouffé, surgit de la chambre d’Absa.

Il s’arrêta.

La porte était entrouverte.

La voix d’Absa flottait dans l’air, sûre d’elle, moqueuse :

— Je te jure, je me suis éclatée. Aïcha n’a rien vu venir. J’ai fait semblant d’être enceinte, puis j’ai fait semblant de faire une fausse couche. Et sa tête, quand Malick l’a jetée dehors…

Un rire d’amie l’accompagna :

— Tu es diabolique !

— Rokhaya, la sage-femme, c’est ma cousine. Elle m’a donné un faux médicament à cacher chez Aïcha. Et c’est tout. Il l’a crue coupable. C’était facile.

— Tu as tout planifié ?

— Évidemment. Je ne voulais pas qu’Aïcha parte. Je voulais qu’elle souffre.

Le choc figea Malick.

Il ouvrit la porte. Lentement.

Absa sursauta. Son amie se raidit, prête à fuir.

Il entra.

— Tu es un monstre.

Sa voix était basse. Tranchante. Elle portait une douleur qu’aucun mot ne pourrait alléger.

Absa se leva d’un bond, décomposée.

— Ce n’était… ce n’était qu’un jeu, balbutia-t-elle.

— Un jeu ?

Il s’approcha, lentement.

— Tu as menti. Tu as manipulé. Tu as trahi. Tu as humilié une femme qui n’a jamais levé la main sur toi. Tu l’as chassée. Tu m’as volé mon discernement.

Puis, sans crier, sans trembler, il leva la main.

La gifle claqua dans la pièce comme un éclat de tonnerre.

Absa chancela.

— Prends tes affaires. Tu n’es plus la bienvenue ici. Ni aujourd’hui. Ni jamais.

Elle tomba à genoux.

— Malick… je t’aime…

— Non. Tu aimes manipuler. Tu aimes blesser.

Il quitta la chambre. Ferma la porte sur ses supplications. Sur ses larmes. Sur ses mensonges.

Puis il s’assit au bord du lit conjugal. Seul. Éreinté.

Il avait tout perdu.

Mais dans cette perte absolue, une certitude germait lentement : il fallait maintenant retrouver la vérité. La réparer. Et peut-être, un jour, la mériter

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