Le fiancé de ma soeur E1

Episode 1: La rencontre

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 Djamila Sow

Je venais tout juste de terminer mon master en parasitologie. Une étape décisive, un soulagement aussi. Dans notre famille, les sciences sont presque une tradition : chimie, biologie, pharmacie… Mon père, Omar Sow , ancien major de promo en biochimie, avait fondé avec ma mère Codou une grande marque de cosmétiques : Beauty Plus. Ils s’étaient rencontrés à l’université, entre deux TP, et avaient bâti ensemble un empire local. Une belle histoire, qu’on nous racontait souvent.

Mais la vie, parfois, chamboule tout. Mon père avait fait un AVC il y a deux ans. Ma mère s’était naturellement retirée pour s’occuper de lui. Et c’est ma grande sœur Linda qui avait repris l’entreprise.

Moi, j’étais loin. Je faisais mes études à Paris. J’avais enchaîné les années sans jamais redoubler, avec beaucoup de pression mais aussi de fierté. Mon stage de fin d’études, je l’ai obtenu dans un laboratoire londonien. J’y ai passé trois mois. Londres est une ville intéressante, mais bien trop grise à mon goût. Aujourd’hui, je rentrais enfin à Paris.

J’habitais chez ma tante Ramatoulaye. C’est la petite sœur de ma mère. Elle n’a jamais eu d’enfants malgré trente ans de mariage. Son mari, un homme généreux, lui avait laissé un appartement à Paris, mais sa première épouse avait tout récupéré d’autre. Ma tante avait beaucoup souffert. Elle nous a toujours traitées comme ses propres filles, ma sœur et moi. On venait passer les vacances chez elle depuis qu’on était enfants.

Mais Linda n’avait jamais voulu vivre chez elle. Je ne savais pas pourquoi. Elle disait juste qu’elle préférait rester au Sénégal. À l’époque, je n’avais pas insisté. Moi, j’avais accepté. J’avais besoin de bouger, de construire ma vie ailleurs.

Linda et moi, on n’a jamais été très proches. C’est ma sœur, oui, mais on est très différentes. Elle vient d’avoir trente ans, moi vingt-six. Elle est calme, réservée, presque froide parfois. Moi, je suis plus expressive. J’ai essayé plusieurs fois de me confier à elle, mais elle coupe vite court à la conversation. Je crois qu’elle n’aime pas parler d’elle. Ça m’a toujours dérangée, mais j’ai fini par accepter.

Ce jour-là, alors que j’attendais dans le hall de l’aéroport d’Heathrow, mon téléphone sonna. Amina.

Ma meilleure amie. Mon équilibre. La sœur que j’aurais aimé avoir. Elle me comprenait mieux que personne.

 Djami ! Il faut que je te parle, c’est une grande nouvelle !

— Amina, tu ne changeras jamais… répondis-je en riant. Fais vite, je dois prendre l’avion pour aller à Paris

— Tu ne devineras jamais : Mouhamed veut qu’on se marie.

Je me redressai, sidérée.

— Quoi ? Tu es sérieuse ?

— Très. Il veut qu’on officialise. Je sais que tu ne l’as jamais apprécié, mais moi je l’aime.

— Amina, tu l’aimes certes, mais ouvre les yeux. Tu sais qu’il a toujours eu ce comportement de Don Juan, il n’a jamais été fiable.

— Arrête, Djami. Tu ne sais rien de l’amour. Et de toute façon, toi, tu n’aimes personne.

— Ce n’est pas une mauvaise chose. Je suis bien comme je suis. Pas prête à me lancer dans une histoire sans lendemain.

— Tu n’as pas encore rencontré ton âme sœur. Qui sait, peut-être dans cet aéroport ?

— Impossible. Bon, on en reparle à mon arrivée sur Paris.

— Bon vol, ma sœur. Bisous.

Je raccrochai en soupirant. Amina sortait avec Mouhamed depuis trois ans. Un bel homme, c’est vrai. Mais volage. Trop volage. J’espérais qu’elle ne souffrirait pas. Moi, j’étais différente. Je n’avais jamais eu de vraie histoire. Les hommes m’avaient approchée, mais aucun ne m’avait vraiment touchée.

Je regardais ma montre. Il était temps d’aller vers la porte d’embarquement. J’avançais, un peu distraite, quand je percutai quelqu’un de plein fouet.

Mes sacs tombèrent. L’homme se pencha aussitôt pour m’aider.

— Je suis désolé, mademoiselle, dit-il en relevant la tête.

Je crois que j’ai mis une seconde de trop à répondre. Il avait un regard calme, posé. Son visage m’a troublée. Il était très beau. Mais pas du genre à le faire sentir.

— Ce n’est rien, ai-je répondu, en récupérant mon sac.

— Vous venez d’arriver aussi ?

— Oui, je rentre à Paris.

— Moi, je viens d’arriver. Dommage. J’aurais bien aimé avoir une guide.

J’ai souri, un peu gênée.

— Une autre fois, peut-être.

— Vous me donnez votre numéro ?

Je l’ai regardé. C’était direct, mais sans insistance. Je ne sais pas pourquoi, j’ai accepté. J’ai dicté mon numéro. Il m’a tendu son téléphone.

— Moi c’est Bachir, a-t-il dit.

— Djamila.

On s’est échangé un dernier regard, puis j’ai repris ma route.

Dans l’avion, les mots d’Amina me sont revenus : « Peut-être que tu rencontreras ton âme sœur dans l’avion. »

Dans l’avion, les mots d’Amina me revenaient sans cesse : « Peut-être que tu rencontreras un beau spécimen dans l’avion. »

Je souris toute seule.

Et si elle avait eu raison ?

Et si, sans m’en rendre compte, quelque chose venait de changer dans ma vie ?

Moi, Djamila Sow, toujours les pieds sur terre, toujours dans les microscopes et les rapports de laboratoire… Je venais peut-être de vivre ce que je croyais réservé aux autres. Un moment suspendu. Un début que je n’avais pas prévu.

Je suis arrivée à Paris en début d’après-midi. Mon vol avait été calme, mais mon esprit ne tenait pas en place. Une image me revenait sans cesse : celle de Bachir, ce regard, ce ton posé, et cette facilité avec laquelle il m’avait demandé mon numéro.

Je suis montée dans un taxi et j’ai suivi le trajet jusqu’au quinzième arrondissement. Le même quartier depuis des années. L’immeuble aux volets blancs. Le petit balcon fleuri de ma tante. Tout était familier.

Le taxi s’est arrêté. J’ai payé, pris mes bagages, et je suis montée lentement jusqu’à l’appartement.

Ma tante m’a accueillie avec le même enthousiasme que d’habitude, mais je crois qu’elle a vu que j’étais un peu ailleurs. Je lui ai souri, j’ai dit que j’étais juste fatiguée du voyage.

Dans ma chambre, une fois seule, je me suis allongée sur le lit. J’ai fermé les yeux.

Je ne connaissais presque rien de lui.

Mais ce prénom résonnait encore dans ma tête.

Et dans ma poitrine.

Bachir.

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