Le fiancé de ma soeur E5

Episode 5 - Retrouvailles

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Djamila Sow

Je n’arrivais pas à tenir en place.

Depuis le réveil, mon téléphone ne me quittait plus d’une semelle, comme si Bachir allait m’appeler à chaque seconde. Il avait dit qu’il partait aujourd’hui, mais il n’avait pas précisé l’heure. Et cette attente… me consumait.

Quand enfin son appel est arrivé, mon cœur s’est emballé.

— Je suis à l’aéroport, m’a t-il dit d’une voix calme, presque douce. Mon vol est dans une heure.

— Déjà ? ai-je soufflé.

— Oui. J’arrive ce soir. Et demain, je veux te voir. J’ai réservé un petit restaurant tranquille, près de la place d’Italie. À 20 heures. Ça te va ?

— Parfaitement.

Je n’ai pas osé lui dire à quel point j’étais heureuse. Je me suis contentée d’un sourire audible, d’un “à demain” un peu tremblant. Quand il a raccroché, j’ai eu l’impression que l’air autour de moi vibrait.

Il venait. Il serait à Paris. Ce soir.

Je suis restée debout au milieu du salon de ma tante, les mains moites, le cœur battant comme si j’avais quinze ans. Mes pensées se bousculaient : est-ce que j’allais lui plaire comme la première fois ? Est-ce que j’allais réussir à rester naturelle, ou me trahir comme une gamine trop émotive ?

J’ai attrapé mon téléphone et j’ai appelé Amina.

— Il vient, ai-je dit dès qu’elle a décroché. Bachir. Il atterrit ce soir. On dîne ensemble demain.

— Djamila ! Tu plaisantes ?!

— Non. Il m’a appelée de l’aéroport. Il vient pour moi, tu t’imagines ?

— Waw… je suis trop contente pour toi ! Et alors ? Tu comptes mettre quoi ? T’as pensé à la tenue ?

Je me suis mise à rire. Amina avait ce don : prendre toutes mes émotions et les traduire en gestes simples. Une robe, un parfum, une coiffure. Je l’aimais pour ça.

— Je suis excitée et morte de trouille en même temps, ai-je avoué.

— Tu veux mon avis ? Reste toi-même.

Elle marquait toujours des points. Mais je sentais aussi une fatigue dans sa voix, un fond d’inquiétude.

— Et toi ? Les préparatifs du mariage ? Ça avance ?

Un soupir. Long, profond.

— Toujours pas de dote. Mouhamed dit qu’il attend qu’on lui paie son salaire mais franchement… c’est compliqué pour lui en ce moment

— Et ta mère ?

Un silence gêné, puis :

— Elle menace d’annuler. Tu la connais. Pour elle, pas de dote = pas de mariage. Et moi je me retrouve à jongler entre les deux.

Je n’ai rien dit. Je savais ce qu’elle allait me demander.

— Djami… tu pourrais me prêter un peu d’argent ? Juste pour que Mouhamed puisse donner la dote à ses tantes, Je te rembourse dès que Mouhamed se bouge. Sinon elle va tout faire capoter. Et moi, j’en peux plus.

J’ai fermé les yeux. Bien sûr qu’elle pouvait me demander ça. Et bien sûr que j’allais dire oui.

— Je vais voir ce que je peux faire, ai-je soufflé. T’inquiète pas.

— Merci… je savais que je pouvais compter sur toi.

Elle a raccroché peu après, et je suis restée seule, avec cette sensation étrange de marcher sur un fil tendu entre deux mondes : celui d’Amina, qui s’effondrait un peu, et le mien, qui commençait à vibrer.

Demain, je le verrai.

Et rien que cette pensée suffisait à tout faire basculer.

Amina Dieye

Je n’aime pas quand elle m’appelle sur ce ton. Ce mélange de précipitation et de reproche à peine voilé. Maman ne connaît ni la tendresse ni l’attente. Elle appelle, elle ordonne, elle réclame. Elle crie mon nom depuis le salon. Je sors de ma chambre pour lui répondre. 

— Amina ! Où est-ce que tu es encore passée ? Tu crois que je vais attendre ton Mouhamed jusqu’à quand?

Je ferme les yeux. J’ai à peine fini de parler à Djamila, que déjà la réalité me rattrape. Ici, chez moi, on ne rêve pas longtemps.

 

— Je suis là, maman. Qu’est-ce qu’il y a ?

— Ce qu’il y a ? Ce qu’il y a, c’est que je veux des réponses ! Il vient quand avec sa famille, Mouhamed ? Je veux une date. Une vraie. Et je te préviens, Amina, pas de cérémonie au rabais. Je suis une Lebou, moi. Il me faut une grande fête. Un vrai mariage, pas une escapade de pauvres !

Je m’appuie contre le mur de ma chambre, les genoux fléchis, mon cœur qui bat déjà trop vite. Elle ne s’arrête pas. Elle enchaîne les exigences comme des perles enfilées sur un collier invisible.

— Tes tantes arrivent samedi. Les sœurs de ton père. Elles veulent voir le salon transformé, les tissus prêts, les bijoux sortis. Tu m’entends ? Je veux au moins deux millions de dot, pas un franc de moins.

Deux millions. Même en l’entendant, je souris. Pas parce que c’est drôle. Mais parce que si je ne souris pas, je vais pleurer.

Je sais qu’elle ne plaisante pas. Ma mère est de celles qui annulent un mariage à la veille pour une question de prestataire, de buffet, de statut.

Elle finit son monologue pour je retourne dans ma chambre 

Je reste figée un instant. Puis je me glisse sur le lit, téléphone toujours en main. Je fais défiler les messages. Rien de nouveau de Mouhamed. Je compose son numéro.

Il décroche. Toujours cette voix nonchalante, presque distraite.

— Salut bébé.

— Salut Mouhamed. T’as eu des nouvelles ? De ton paiement ?

Il hésite. Il toussote. Je devine déjà la suite.

— Toujours rien. Mais la compta m’a dit que ça va tomber cette semaine. Dès que c’est bon, je te donne ce que je t’ai dit. Cinq cent mille. Pour commencer.

Je ferme les yeux. Un rire nerveux me monte à la gorge.

Cinq cent mille. Pour commencer. Et ma mère qui attend une tempête d’argent.

Je retiens ma colère. Pas maintenant. Pas au téléphone.

— D’accord. Merci. Tu vas donner cet argent à tes tantes pour qu’elles l’amènent rapidement. Je vais essayer de compléter ça 

— Promis. Et bébé, je fais de mon mieux. Tu sais.

Je raccroche. Pas même un “je t’aime”. Pas même un “tout ira bien”.

Je reste allongée, le regard perdu au plafond. Il y a ce compte de Djamila, je le sais. Son père l’a ouvert pour elle quand elle avait dix-sept ans. Elle n’y touche jamais. Juste “au cas où”. Je sais qu’elle va me prêter cet argent. 

Je ne peux pas en vouloir à Mouhamed, je l’ai choisi. Moi, Amina Dieye, fille d’Ouleye Ndoye, j’ai choisi d’aimer un homme sans fortune stable, sans grande famille, mais avec ce regard qui me fait tout oublier. J’aurais pu dire non. J’aurais pu écouter ma mère, céder à la sécurité.

Mais non.

Je l’ai voulu, lui.

Et maintenant, je dois simplement espérer que l’amour suffira à faire face à tout ça 

 

Abdallah Bachir Ndao

Je m’étais promis de rester calme. Posé. Détaché, même. Comme si ce dîner n’était qu’un rendez-vous parmi d’autres. Mais à mesure que j’approchais du petit restaurant, niché au fond d’une rue tranquille du quatorzième, mes pensées perdaient toute cohérence.

Je l’aperçus avant même d’avoir passé la porte.

Assise à une table près de la verrière, les mains croisées devant elle, elle regardait son téléphone avec une concentration faussement tranquille. Elle portait une robe beige simple, sans fioritures, mais sur elle, ça devenait une évidence lumineuse. Il y avait une grâce dans la manière dont elle redressait la tête, un éclat dans ses yeux même à distance, qui me la rendait presque irréelle.

Je restai immobile quelques secondes, comme pour me préparer à la revoir en vrai, après toutes ces images déformées par mon imagination depuis Londres.

Elle leva enfin les yeux.

Et son regard me traversa. Pas un mot. Pas un sourire tout de suite. Juste ce moment suspendu, ce flottement presque solennel, avant qu’elle ne se lève.

Je m’approchai, lentement.

— Bonsoir, soufflai-je, un peu plus bas que je ne l’aurais cru.

— Bonsoir, répondit-elle, dans un sourire timide, mais franc.

Je ne pouvais pas détacher les yeux d’elle. Rien de ce qu’elle portait n’était extravagant. Et pourtant… je n’avais jamais vu une femme aussi belle. Ou alors, c’était la lumière du souvenir, de l’attente, de ces appels qui avaient rendu son visage si familier, si essentiel.Je tirai sa chaise, m’assis en face. Mon cœur battait trop vite, mais je tentais de le cacher.

— Merci d’être venue.

— C’est toi qui as fait tout ce voyage, rétorqua-t-elle.

Je souris. Elle n’avait pas changé. La même lucidité. Le même ton, à la fois doux et acéré.

— Tu vas bien ? demandai-je.

— Un peu nerveuse, avoua-t-elle. Et toi ?

–Je suis là. C’est que je vais bien.

Une serveuse vint prendre la commande. On choisit sans vraiment réfléchir, juste pour se donner une contenance. Et puis, le silence revint. Ce genre de silence qui ne gêne pas. Qui contient, au contraire, quelque chose de paisible

Je pris une gorgée d’eau. Puis la regardai à nouveau.

— Tu es encore plus belle que dans mes souvenirs, murmurai-je.

Elle baissa les yeux, rougissante.

— Tu dis ça à toutes les filles avec qui tu dînes à Paris ?

— Je dîne rarement avec des filles à Paris. Et jamais deux fois avec la même, répondis-je, mi- sérieux, mi- taquin.

Elle éclata de rire, un peu surprise. Et j’eus ce pincement au creux de la poitrine. Ce rire-là, je l’avais imaginé des dizaines de fois, sans jamais réussir à en saisir la vraie texture.

Je ne savais pas où cette soirée nous mènerait. Je ne savais même pas si j’avais eu raison de raccourcir mon séjour à Londres. Mais ce que je savais, à cet instant précis, c’est que j’étais exactement là où je devais être.

Avec elle.

Djamila Sow

Quand il est entré, j’ai senti mon souffle se suspendre.

C’était comme si tout ce qu’il y avait autour — la lumière tamisée du restaurant, le tintement discret des couverts, les voix lointaines — s’était effacé. Bachir était là, debout devant moi, et l’espace s’était resserré autour de son regard.

Il m’a dit bonsoir d’une voix presque timide, ce qui m’a troublée plus que je ne l’aurais imaginé. Je n’avais pas oublié son visage, évidemment — comment aurais-je pu ? — mais le voir là, devant moi, en chair et en os, c’était autre chose. Il y avait dans ses yeux quelque chose de neuf, d’intense, comme s’il cherchait à me lire sans me brusquer.

 

cette nervosité douce qui me courait sous la peau. Il m’a regardée comme si j’étais un mirage. C’était un peu trop, un peu beau. Et un peu effrayant, aussi.

Il a tiré ma chaise, s’est assis en face de moi, comme si nous faisions ça souvent. Comme si nous étions un de ces couples qui ont leurs habitudes.

Mais rien n’était habituel.

J’avais beau me répéter que ce n’était qu’un dîner, une rencontre presque banale entre deux personnes qui avaient voyagé côte à côte et échangé quelques messages, je savais que ce moment avait déjà pris une autre densité. Il y avait trop de battements dans ma poitrine, trop de frissons dans ma nuque pour que ce soit anodin.

— Merci d’être venue, m’a-t-il dit.

— C’est toi qui as pris l’avion, ai-je répondu, pour ne pas lui avouer à quel point moi aussi j’avais attendu ce moment.

Il y eut un silence. Pas pesant. Juste… suspendu.

Je l’observais à travers la lumière douce du restaurant, ce visage que j’avais appris à connaître à travers un écran. Il avait un regard franc, presque grave, mais un sourire discret, chaleureux. Une élégance simple, posée. Et quelque chose d’un peu cabossé aussi, dans sa façon de baisser les yeux par moments. J’ai aimé ça. Cette retenue.

Quand il m’a dit que j’étais encore plus belle que dans ses souvenirs, j’ai senti le rouge me monter aux joues. Je ne suis pas très douée avec les compliments. Je me cache derrière l’ironie. Alors j’ai souri, baissé les yeux et lancé une boutade.

Mais à l’intérieur, ça tremblait. Parce que je savais qu’il était sincère. Et que sa sincérité me désarmait.

Nous avons commandé, presque au hasard, comme deux enfants trop émus pour choisir un plat. Il a choisi un poisson, moi une salade. Je n’avais pas vraiment faim.

Ce que je voulais, c’était prolonger cette parenthèse.

— Tu comptes rester combien de temps à Paris ? ai-je fini par demander.

Il a relevé la tête, ses yeux plantés dans les miens.

— Le temps qu’il faudra.

Je n’ai pas su quoi répondre. Parce que ce genre de phrase, on ne la dit pas sans intention. Et parce que je n’étais pas sûre de ce qu’il espérait. Ou de ce que moi, je redoutais de commencer à désirer.

Le reste du dîner s’est déroulé dans cette douce ambivalence : les rires qui effacent les silences, les regards un peu trop longs, les phrases banales qui, soudain, prennent un relief nouveau.

À un moment, il a posé sa main sur la table, juste assez près pour que je sente la chaleur de sa peau. Il ne m’a pas touchée. Mais j’ai compris.

Il attendait. Il me laissait le choix.

Et moi, j’ai laissé ma main là, immobile, entre nos deux mondes qui commençaient lentement à se frôler.

 

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