Silence du Barreau E11

Episode 11 - La vengeance est un plat qui se mange froid

Aissata Diallo

Quand le téléphone a sonné, j’ai immédiatement su que c’était le laboratoire.

— « Bonjour Maître Diallo, ici le service graphologique. Nous vous confirmons que la signature présente sur la procuration est bien celle de Monsieur Souleymane Ba. Aucun signe de falsification. »

Je suis restée silencieuse quelques secondes.

— « D’accord. Merci. »

Je n’ai pas raccroché tout de suite.

Je fixais le mur face à moi. Ce mur que je connaissais par cœur.

Souleymane disait n’avoir jamais signé ce document. Pourtant, l’expertise prouvait le contraire.

Alors il avait bel et bien signé. Mais qu’est-ce qu’on lui avait fait signer ce jour-là ?

Il s’en souviendrait forcément s’il avait été conscient.

Quelqu’un avait donc rusé. On lui avait tendu un piège. Ou il a signé quelque chose qu’on a ensuite substitué. Peut-être même sous prétexte d’une autre affaire.

Dans tous les cas, Fatou Kiné sait quelque chose.

Et Hadjara… certainement aussi,

Mais dans ce cas, c’est Fatou Kiné qui est la plus vulnérable. La plus accessible.

Je devais lui parler. Mais pas comme une avocate.

Je devais l’approcher autrement. La tester. L’observer.

J’ai pris mon sac et fermé le dossier.

— « C’est bon. On va jouer franc jeu maintenant. »

J’avais le cœur battant, mais mon visage ne trahissait rien. À peine arrivée à la clinique, je me suis dirigée directement vers la chambre indiquée par l’infirmière. Je n’avais pas pris rendez-vous. Je ne venais pas pour faire dans les formes.

La porte était entrouverte. À l’intérieur, Fatou Kiné était assise au chevet de sa mère endormie. Elle leva les yeux vers moi, visiblement surprise.

— Qu’est-ce que vous faites ici ? souffla-t-elle.

_ J’ai besoin de vous parler

Elle se lève et me suit tranquillement dehors, c’est mieux ainsi car je ne veux en aucun cas déranger sa mère malade

— Tu sais très bien pourquoi je suis là. Je viens d’avoir les résultats de l’expertise. La signature de Souleymane n’a subi aucune altération. C’est bien la sienne. Donc, il a signé ce contrat de mariage… volontairement ? Vraiment ?

Elle détourna les yeux, mais ne répondit pas.

— Tu veux que je te dise ce que je pense ? Je pense que tu sais exactement ce que tu as fait. Et que tu as eu de l’aide. Je pense que ce n’est pas un mariage, c’est une mise en scène. Et je ne partirai pas d’ici sans réponses.

Fatou se leva, lentement. Son regard était froid, fermé.

— Vous pensez ce que vous voulez, Maître. Je suis la femme de Souleymane. Le reste ne me regarde pas.

— Le reste, c’est que tu profites d’une situation que tu sais injuste. Et ça, je ne le laisserai pas passer. Tu es jeune, Fatou. Tu ne sais pas encore ce que ça coûte, de tricher pour obtenir ce qu’on veut.

— Et vous, vous croyez que vous êtes meilleure que tout le monde parce que vous portez une robe d’avocate ?

J’ai avancé d’un pas.

— Je te laisse encore une chance. Tu dis la vérité maintenant, ou je fais venir un juge d’instruction, et cette histoire va exploser devant tout le monde.

C’est à ce moment-là que Sokhna entra, un plateau à la main. Elle nous observa une seconde, fronça les sourcils.

— Qu’est-ce qui se passe ici ?

Fatou croisa les bras. Je n’ai pas bougé.

— Ta sœur est très douée pour jouer les innocentes. Mais je ne suis pas venue pour jouer.

— Je vous demande de partir, Madame. Ma mère a besoin de repos. Et moi, j’ai besoin de parler à ma sœur seule à seule.

Je la fixai quelques secondes. Elle ne tremblait pas. Pas une seconde.

J’ai reculé. Lentement. En fixant Fatou Kiné. Pas besoin de mots de plus. Elle savait que ce n’était que le début.

Je suis sortie de cette clinique plus confuse que jamais. Si elle ne parle pas, Souleymane prendra cher

Fatou Kiné Mbaye

Je ne savais plus où me mettre. Sokhna me fixait sans un mot, mais ses yeux disaient tout. Elle savait que j’avais menti. Elle avait tout entendu.

Elle a fermé la porte de la chambre, lentement, sans détourner son regard.

— Dis-moi tout. Maintenant. Parce que si tu ne parles pas, je vais le faire à ta place.

Je suis restée assise, la gorge sèche, les mains moites. Puis j’ai baissé les yeux.

— C’est la femme de mon ancien patron qui m’a proposé un deal

— Qui, Hadjara ? celle qui est venue ici ?

— Oui c’est elle. Dans un premier temps, elle m’avait demandé de séduire son mari mais ce dernier n’a jamais montré de l’intérêt pour moi. C’est après qu’elle m’a demandé de signer un acte de mariage civil et me faire passer pour sa deuxième épouse

Sokhna s’est rapprochée, les bras croisés.

— Continue.

— Elle avait déjà tout organisé. Elle connaissait un agent à la mairie de Grand Yoff. Un type qui pouvait faire passer les choses pour officielles sans que personne ne vérifie vraiment. Elle a dit qu’il suffisait que le dossier soit signé par lui. Et elle m’a promis dix millions.

Je me suis arrêtée une seconde, la honte m’étouffait.

— Dix millions, Sokhna. Elle a dit que ça réglerait tous nos problèmes. Que maman pourrait se faire soigner, que je pourrais reprendre mes études après. J’ai dit oui.

— Donc tu as fait en sorte qu’il signe le papier sans le savoir ?

— Oui…J’ai profité d’un jour où il signait plein de documents. J’ai glissé les papiers de mariage dans la pile. Il ne s’est rendu compte de rien. Elle m’a dit que c’était juste pour l’effrayer, Je te jure, je ne pensais pas que ça irait jusque là

Sokhna secoua la tête, dégoûtée.

— Et tu n’as jamais rien dit ?

— Je ne pouvais rien dire. J’avais déjà pris l’argent. Je ne pouvais pas laisser maman mourir

Sokhna soupira, les yeux brillants.

— Je vais rien dire à maman. Pas encore. Mais toi, tu vas arranger ça. Parce que si tu ne le fais pas, je le ferai. Et crois-moi, tu préféreras que ce soit toi.

J’ai hoché la tête. Elle avait raison. J’étais allée trop loin.

 Narrateur externe

Le lendemain, Sokhna s’était réveillée tôt. Trop tôt. La révélation de Fatou Kiné, la veille, l’avait laissée sans voix. Elle n’avait pas fermé l’œil de la nuit. Assise près du lit, elle attendit que leur mère ouvre les yeux. Dès qu’elle vit ses paupières bouger, elle se pencha doucement.

— Maman… je dois te parler. C’est important.

Aminata Seck, sa mère grogna légèrement, puis se redressa péniblement.

— Qu’est-ce qu’il y a, Sokhna ? Il s’est passé quelque chose avec le médecin ?

— Non, non… c’est Fatou. C’est à propos de l’argent de ton opération.

Un silence s’installe. La mère se redresse un peu plus, intriguée.

— Elle m’a dit qu’elle avait fait un prêt. Pourquoi ?

Sokhna serre les doigts, hésite, puis lâche :

— C’était un mensonge. Elle n’a pas fait de prêt. C’est une femme du nom de Hadjara Touré qui lui a donné dix millions. En échange… elle a accepté de mentir et de faire croire qu’elle était mariée à un homme. Un homme qui ne l’a jamais épousée.

Le visage de leur mère se fige. Elle ne comprend pas.

— Mariée ? Quel homme ?

— Souleymane. Tu ne le connais pas. C’est son patron. Hadjara, la femme légitime de cet homme, a monté un plan pour l’accuser de bigamie. Et pour ça… elle a eu besoin d’un faux mariage. C’est là que Fatou est entrée dans le jeu. Ils ont tout fait valider à la mairie de Grand Yoff, avec un complice. Elle a menti à tout le monde. À moi. À toi.

Madame Mbaye laisse échapper un gémissement.

— Ya Allah…

Sokhna se lève et prend doucement la main de sa mère.

— Elle a fait ça en pensant nous aider. Pour sauver ta vie. Mais maintenant, ça prend des proportions énormes. Ce Souleymane est accusé à tort. Et si Fatou ne dit pas la vérité, il risque gros.

Un long silence. Puis la vieille dame, d’une voix ferme malgré sa fatigue :

— Je ne peux pas cautionner ça. Je suis en vie aujourd’hui, alhamdoulilah, mais je ne veux pas vivre sur le malheur d’un innocent.

Elle fixe Sokhna avec une lueur de détermination dans les yeux.

— Tu vas lui dire qu’elle doit parler. Elle doit dire la vérité au procès. Devant tout le monde. Sinon… je le ferai moi-même.

Sokhna hoche la tête, émue, presque soulagée. Elle savait que sa mère choisirait l’honneur.

Abdoulaye Diop

Je m’étais préparé à tout, sauf à ça. Voir Zouleykha assise sur le bord du canapé, la tête baissée, les mains crispées sur son pagne. Je m’étais senti impuissant. Moi qui pensais pouvoir la protéger de tout.

— Elle a dit non ? demanda-t-elle d’une voix tremblante.

Je m’approchai, posai doucement une main sur son épaule.

— Oui. Ma tante refuse. Elle dit qu’elle est du côté de la partie civile, qu’elle ne peut pas défendre ton père dans ces conditions.

Zouleykha hocha la tête, sans relever les yeux.

— Elle a ses raisons, ajoutai-je. Mais je vais t’accompagner voir quelqu’un d’autre. Une avocate de haut niveau. Elle ne fait pas partie du dossier encore. Elle s’appelle Maître Assietou Gaye.

Quelques heures plus tard, on était dans la salle d’attente de son cabinet, à Mermoz. L’endroit respirait le calme, l’ordre. Pas un de ces cabinets froids où les gens attendent leur sort comme dans un couloir d’hôpital. Ici, tout était organisé. Le genre de lieu où les décisions sérieuses se prennent.

Maître Assietou Gaye entra, droite, confiante, en tailleur noir et lunettes fines. Elle nous fit asseoir, et je pris la parole. Elle m’écouta jusqu’au bout sans m’interrompre, puis se tourna vers Zouleykha.

— J’ai suivi l’affaire dans la presse, dit-elle. Je n’ai pas encore reçu le dossier, mais s’il est encore possible de déposer une constitution de partie en défense, je le ferai.

— Vous pensez pouvoir le défendre ? souffla Zouleykha.

Elle se pencha, légèrement, et déclara avec assurance :

— S’il est innocent, alors je gagnerai. Nexus ne m’impressionne pas. Et je ne compte pas perdre contre eux une seconde fois.

Zouleykha ne put retenir un sourire, une expression fragile mais pleine d’espoir.

Maître Gaye se leva, rassembla quelques documents.

— Je vais me rendre à la prison demain. Il faut que je parle avec votre père avant de constituer ma stratégie. Ne vous inquiétez pas, je saurai si on lui a tendu un piège. Et s’il a menti, je le saurai aussi.

Elle se tourna vers moi, puis vers Zouleykha.

— Et vous ? Vous devez rester forte. Ce genre d’épreuve peut détruire une famille. Mais elle peut aussi la sauver.

 

Saïda Diop

Je suis entrée dans la salle d’entretien les poings serrés. Il était déjà là. Assis, menotté, l’air fatigué. Un peu vieilli. Pas assez à mon goût. Il leva les yeux vers moi. Un regard vide. Neutre. Il ne m’a pas reconnue.

J’ai pris une inspiration, je me suis assise lentement. Je l’ai regardé. Longuement. Le silence pesait. Lui semblait attendre que je parle. Il crut sûrement que j’étais là pour l’aider. Que j’étais là pour le défendre.

— Tu ne me reconnais pas, n’est-ce pas ?

Il fronça légèrement les sourcils.

— On s’est déjà vus ? demanda-t-il, hésitant.

J’ai laissé un petit rire, sans joie.

— Toi non. Mais moi, je ne t’ai jamais oublié.

Il cligna des yeux, intrigué.

— Je suis Saïda Diop. Une ancienne étudiante de l’UCAD. Il y a plus de vingt ans. Une nuit. Une fête. Une chambre. Tu ne vois toujours pas ?

Je vis la stupeur monter dans ses yeux. Il bougea sur sa chaise. Son regard devint fuyant.

— Je ne comprends pas… bredouilla-t-il.

— Non. Tu ne comprends pas. Tu ne te souviens pas. Parce que ce que toi tu as effacé, moi je l’ai porté pendant vingt-quatre ans.

Ma voix tremblait. J’ai fermé les yeux une seconde pour me contenir. Pas ici. Pas devant lui.

 Ce soir-là, j’ai accepté de suivre une amie à une fête. Je n’y allais jamais. Mais j’étais épuisée, et elle m’a convaincue. Je n’avais rien bu. Rien. Je me suis réveillée nue. Dans un lit qui n’était pas le mien. Le corps en miettes. Et toi, à côté de moi. Comme si de rien n’était.

Je l’ai fixé. Il ne disait plus un mot. Il avait blêmi.

— Tu m’as volé quelque chose que je ne retrouverai jamais. Tu as souillé ce que j’avais de plus précieux. Tu m’as imposé une honte qui m’a suivie toute ma vie. Et toi, tu es allé vivre la tienne. Marié peut-être. Des enfants. Un poste à InnovBank. Une vie normale. Tranquille.

Je me suis levée. Il n’a pas bougé. Je l’ai regardé comme on regarde un monstre.

— Je ne suis pas ton avocate, Ibrahima. Et je ne serai jamais ton alliée. Je suis celle que tu as détruite. Et aujourd’hui, je suis debout. Face à toi. Et je vais te faire payer. Pas seulement pour le détournement dont tu es accusé. Mais pour moi. Pour la jeune fille que tu as violée sans scrupule. Pour toutes celles à qui on ne croit pas.

Je me suis tournée vers le gardien. D’une voix calme :

— J’ai fini.

Avant de franchir la porte, je me suis arrêtée.

— Tu aurais dû te souvenir. Parce qu’à partir d’aujourd’hui, c’est moi qui vais te rappeler chaque jour ce que tu as fait.

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