Silence du Barreau E17

Episode 17- Après le premier mensonge....

Fatou Kiné Mbaye

Je ne dors plus vraiment depuis ce jour-là.

Depuis que j’ai dit la vérité au tribunal, Hadjara m’appelle tous les soirs. Pour me menacer. Pour me faire peur. Pour me faire regretter d’avoir parlé. Elle me rappelle que je n’étais qu’un pion dans cette histoire. Que sans elle, ma mère serait morte.

Mais je sais une chose : ce que j’ai fait à Souleymane est impardonnable.

J’ai accepté de jouer un rôle, d’endosser un faux mariage, pour de l’argent et de la peur. Je me suis tue quand il fallait parler. Et même si Hadjara m’a manipulée, je ne suis pas innocente.

Ma mère me l’a dit hier, d’une voix calme mais ferme :

— Tu as une dette envers ce garçon. Une vraie dette. Tu aurais pu lui demande de l’aide, ça aurait été milles fois mieux que de lui tendre un piège pour arriver à tes fins.

Je n’ai pas répondu. J’avais honte.

Ce matin, j’ai décidé de retourner à Ba Immo, il est temps que je lui présente mes excuses pour apaiser ma conscience. J’ai attendu une heure entière dans le hall, incapable de me lever. Puis j’ai frappé à la porte.

— Entrez, a-t-il dit.

Il était là. Assis à son bureau. Comme toujours. Mais plus dur. Plus froid. Plus méfiant.

Je me suis avancée doucement.

— Je ne vais pas prendre beaucoup de votre temps, ai-je murmuré. Je voulais juste… vous demander pardon.

Il ne disait rien. Il me fixait, les bras croisés.

— Je sais que je vous ai blessé. Et que je n’ai aucune excuse. Mais je suis venue parce que je ne veux plus porter ça sur la conscience. Je ne dors plus. Je ne mange plus. Je me regarde dans le miroir, et je me dégoûte. J’ai trahi quelqu’un qui ne méritait que le respect.

Il a gardé le silence un moment. Puis il s’est redressé.

— Tu n’as pas idée de ce que tu m’as coûté, Fatou Kiné. Tu m’as fait douter de moi, de mes choix, de tout ce que je croyais. Tu as été le visage du mensonge, alors que je cherchais la vérité.

J’ai baissé les yeux.

Mais il a continué, plus doucement :

— Et pourtant… je sens que tu regrettes vraiment.

Je l’ai regardé.

— Je vous jure que je regrette tout.

Il a hoché lentement la tête.

— Alors je te pardonne.

 

J’ai fermé les yeux une seconde. Le soulagement m’a coupé le souffle. Je n’ai rien dit d’autre. Je ne voulais pas pleurer devant lui.

Mais alors que je me retournais pour partir, il a dit :

— Fatou Kiné… il faut que tu saches quelque chose.

Je me suis arrêtée.

— Ta mère… Aminata Seck… c’est elle qui m’a vendu à la naissance.

Je me suis figée.

— Pardon ?

— C’est elle. Elle a menti à ma mère biologique. Elle lui a dit que j’étais mort-né. Et elle m’a vendu à une autre femme.

J’ai senti mes jambes faiblir. Je me suis rattrapée au mur. Le monde tournait autour de moi.

— Je… je ne savais pas…

— Je sais que tu n’y es pour rien. Mais tu comprends maintenant pourquoi tout ça me hante.

Je n’ai pas répondu. Je suis sortie, hébétée. Je descendais les escaliers quand je l’ai vu.

Un homme. Grand. Élégant. La peau foncée, le regard intense. Il montait les marches, un dossier à la main. Il s’est arrêté net. Moi aussi.

On s’est regardés. Un long regard, silencieux. Comme si chacun avait vu quelque chose chez l’autre qu’il ne s’attendait pas à trouver.

— Bonjour, dit-il simplement.

— Bonjour…

— Abdou Salam Diallo, se présenta-t-il en tendant la main.

— Fatou Kiné, ai-je murmuré.

Et sans un mot de plus, le lien s’était installé.

 Abdou Salam Diallo

Je ne comprends pas ce qui m’est arrivé.

J’ai croisé des centaines de femmes dans ma vie. J’en ai salué, conseillé, orienté. Et depuis que j’ai épousé Diarra, je n’ai jamais levé les yeux ailleurs. Pas par contrainte, mais par conviction. Je suis un homme fidèle. Stable. Un homme qui se tient.

Et pourtant… cette fille, dans cet escalier… Elle m’a figé.

Elle descendait rapidement, presque troublée. Moi, je montais d’un pas assuré. Et quand nos regards se sont croisés, tout s’est suspendu. Il n’y a pas eu de sourire, pas de mots inutiles. Juste ce regard. Intense. Vrai. Trop vrai.

Elle s’est présentée : Fatou Kiné.

 

Un joli prénom. Une voix tremblante, mais ferme. Un mélange étrange de fragilité et de feu.

Je suis resté planté là quelques secondes après qu’elle soit passée, comme un idiot. Puis j’ai repris mes esprits et poursuivi vers le bureau de Souleymane. On s’est connu dans le milieu immobilier, c’est après que j’ai su que c’était lui le client de ma sœur. Il m’avait parlé de ses sentiments pour ma sœur et pour être sincère j’aimerai avoir un beau-frère comme lui.

 On avait rendez-vous depuis deux jours.

Il m’a accueilli comme toujours : professionnel, concentré, direct.

— Salam, entre donc. J’espère que tu n’as pas trop attendu.

— Non, t’inquiète. Juste le temps de croiser une tornade.

Il a levé un sourcil.

— Pardon ?

J’ai souri.

— Une jeune femme que j’ai croisée dans l’escalier. Une certaine Fatou Kiné. Elle sortait de ton bureau, je crois.

Il a penché la tête, surpris.

— Oui, effectivement. Tu la connais ?

— Je viens littéralement de la rencontrer. Et je ne sais pas ce qui m’arrive, mais j’ai senti quelque chose. C’est peut-être absurde, mais… je ne pouvais pas partir sans te demander. Tu aurais son numéro ?

Souleymane m’a observé un instant, un peu méfiant. Puis il a attrapé son téléphone.

— Bon je ne vais pas m’avancer mais prends ton temps avant de t’engager

— Je ne compte rien précipiter. Juste l’appeler. Lui parler, Rien de plus.

Il m’a tendu le numéro, que j’ai noté immédiatement.

— Je l’appellerai ce soir, Merci.

Je l’ai noté, puis j’ai rangé mon téléphone dans ma poche. J’allais lui parler d’un dossier immobilier quand il me devança, posément :

— Je voulais te dire quelque chose.

Je relevai les yeux vers lui.

— Je suis sérieux avec ta sœur. Je veux l’épouser.

Il avait dit ça simplement. Sans détour. Sans insistance.

Je l’ai regardé un instant, puis j’ai souri.

— Je suis content de l’entendre. Aïssata a toujours eu du mal à faire confiance. Si elle t’a laissé entrer dans sa vie, c’est que tu comptes.

Il acquiesça en silence. Et je continuai, en me levant :

— Mais je te préviens… elle ne rend pas les choses faciles.

Je pris une pause, avant d’ajouter :

— Il te faudra beaucoup de courage.

Souleymane esquissa un sourire.

— J’en suis conscient. Mais je suis prêt.

Je lui serrai la main.

— Alors c’est tout ce que je te souhaite.

Je sortis du bureau, un léger sourire au coin des lèvres.

Et malgré moi, mes pensées dérivèrent à nouveau vers Fatou Kiné.

 

Narrateur externe

Saïda Diop travaillait seule dans son bureau quand la porte s’ouvrit brusquement. C’était son grand frère, Saliou. Il avait le visage grave, les sourcils froncés, l’air d’un homme qui portait une décision lourde.

— Saliou ? fit-elle, surprise. Qu’est-ce qu’il y a ?

Il referma la porte derrière lui et avança lentement, les bras croisés.

— Je veux que tu arrêtes cette affaire contre Ibrahima Diagne.

Saïda se raidit.

— Pourquoi ?

— Parce que c’est un collègue de mon fils. Il bosse à la banque avec lui. Et surtout… parce que c’est le père de Zouleykha.

Elle cligna des yeux, sans comprendre tout de suite.

— C’est qui Zouleykha ?

_La petite amie de Abdoulaye, c’est sa fiancée.  Ils vont bientôt se marier.

Saïda recula d’un pas, comme frappée de plein fouet.

— Quoi ?

_ Oui c’est bien ça, elle a dîné à la maison hier, c’est après son départ que Abdoulaye m’a expliqué l’affaire Diagne

Le nom siffla dans l’air.

Un silence. Puis Saïda secoua la tête, incapable de parler.

Saliou fronça les sourcils.

 

— Qu’est-ce qu’il y a ? Pourquoi tu trembles ?

Saïda s’adossa au mur. Son souffle était court. Elle fixait un point vide devant elle. Une sueur froide coulait le long de sa nuque.

— Tu veux savoir pourquoi je ne peux pas lâcher cette affaire ? murmura-t-elle.

Saliou ne répondit pas.

Elle releva les yeux, la gorge nouée.

— Ibrahima Diagne… est l’homme qui m’a violée.

Il blêmit aussitôt.

— Quoi ?

— C’est lui. Je l’ai reconnu directement uand j’ai le dossier. Je l’ai vu à Reubeuss. C’est donc le père biologique de Abdoulaye

Elle s’effondra dans son fauteuil, vidée.

Saliou resta figé un instant, les yeux écarquillés, les poings serrés.

— Tu veux dire que… Zouleykha et Abdoulaye sont…

Saïda hocha lentement la tête, les larmes aux yeux.

— Elle est sa demi-sœur.

Il porta une main à sa bouche.

— Ya Allah…

Saïda secouait la tête comme pour repousser le cauchemar.

— Mon fils est en train de vouloir épouser sa propre sœur dit Saliou complétement sous le choc

Saliou s’approcha, bouleversé.

— Il faut lui dire.

— Je n’ai jamais voulu ui cette vérité éclate. Je vous ai donné Abdoulaye dès sa naissance. Je ne l’ai même pas tenu dans mes bras pour ne pas m’attacher. Mais là je n’ai plus le choix

Elle sanglotait.

— Maintenant, si je me tais, je détruis sa vie. Et si je parle… je le détruis aussi.

Saliou la regarda, les yeux pleins de compassion, mais aussi d’impuissance. Le moment qu’ils avaient toujours redouté était arrivé.

La vérité allait exploser. Et rien ne serait plus jamais comme avant.

 

Narrateur externe

 

Saliou Diop rentra chez lui en traînant les pieds. Ses épaules étaient basses, ses yeux vides, sa bouche crispée. Rougui l’attendait dans le salon, en train de plier des vêtements.

Elle leva la tête aussitôt en le voyant.

— Tu vas bien ? Tu as une sale tête…

Il ne répondit pas. Il s’assit lentement sur le fauteuil, posa ses coudes sur ses genoux, et resta un instant silencieux.

— Saliou ? Qu’est-ce qu’il y a ?

Il releva les yeux vers elle. Sa voix était rauque.

— Il faut qu’on parle de… d’Abdoulaye.

Le cœur de Rougui rata un battement.

— Il lui est arrivé quelque chose ?

— Non. Mais c’est grave. Très grave.

Il respira profondément.

— Je suis allé voir Saïda au cabinet. Je lui ai demandé d’abandonner l’affaire contre Ibrahima Diagne. Tu sais, pour ne pas nuire à Abdoulaye…

— Oui, je comprends. Et alors ?

Il déglutit difficilement.

— Elle m’a dit pourquoi elle ne pouvait pas. Parce que cet homme… Ibrahima… c’est lui qui l’a violée.

Rougui se figea, les bras ballants.

— Quoi ?

— Ibrahima Diagne est le violeur de Saïda. Et donc…

Il se tut. C’était trop dur à dire. Mais Rougui comprit. Ses lèvres tremblèrent.

— C’est lui… le père biologique d’Abdoulaye ?

Saliou hocha lentement la tête.

— Oui.

Le silence se brisa sous le poids d’un souffle retenu. Rougui vacilla. Elle dut s’asseoir.

— C’est une blague…

— Non. Et ce n’est pas tout. Tu sais qui est la fille d’Ibrahima ?

Elle secoua la tête, incapable de répondre.

— Zouleykha. La copine de notre fils. Celle qu’il veut épouser.

Rougui se leva brusquement.

 

— Quoi ?!

— Ils sont demi-frère et sœur, Rougui.

Elle se mit à trembler de tout son corps.

— Non… non… ce n’est pas possible !

Saliou tenta de l’approcher mais elle recula.

— Non ! Tu ne comprends pas, Saliou. Ce garçon… c’est mon fils ! C’est moi qui l’ai élevé ! C’est moi qui l’ai aimé chaque jour, chaque nuit, chaque seconde ! Il m’appelle maman ! Je refuse qu’on me l’enlève

— Je le sais, souffla-t-il, la gorge nouée. Je le sais mieux que personne.

— Tu veux qu’on lui dise quoi ? Qu’il est né d’un viol ? Que celle qu’il aime est sa sœur ? Tu veux le briser ? Tu veux me l’enlever ?

Saliou s’approcha.

— Ce n’est pas le but. Mais on ne peut pas laisser ce mariage se faire.

Rougui éclata en sanglots, secouée de larmes incontrôlables.

— Il ne me le pardonnera jamais. Il ne comprendra pas. Je vais perdre mon fils. Je vais le perdre.

Saliou posa ses mains sur ses épaules, d’une douceur infinie.

— Ce n’est pas ton fils. C’est le fils de Saïda.

Elle le repoussa violemment

— Non ! Tu n’as pas le droit de dire ça ! Je l’ai nourri, aimé, éduqué ! Tu crois qu’un lien de sang efface tout ? Tu crois qu’il va courir dans les bras de cette femme qui l’a abandonné ?

Saliou se tut. Il n’avait pas la force de répondre.

— Il y a peut-être un autre moyen, souffla-t-elle, les yeux rougis. On peut… les séparer. Sans lui dire. Trouver un moyen. C’est mieux. C’est mieux pour tout le monde.

Il la regarda avec tristesse.

— Tu veux continuer à lui mentir ?

— Je veux le protéger.

— De la vérité ?

Elle hocha la tête. Une larme glissa le long de sa joue.

— De la douleur.

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