Silence du Barreau E19

Episode 19 - Promesses et retrouvailles

 Aïssata Diallo

Quand je l’ai vu entrer dans le restaurant, j’ai eu un pincement au cœur. Il avait mis une chemise bleu nuit, la même couleur que celle de la première fois où je l’avais trouvé beau sans le dire. Il me regardait avec cette intensité maladroite, comme s’il avait mille choses à dire et qu’il ne savait pas par laquelle commencer.

Il s’est approché, m’a embrassé sur la joue et m’a tendu une rose. Une vraie, pas une rose achetée en passant. Une rose choisie.

— Tu es vraiment très belle Aissata m’a-t-il dit.

Je n’ai rien répondu. Juste souri.

On s’est installés dans un coin discret, loin du bruit, loin du monde. Il a commandé un plat qu’il n’a même pas touché. Il jouait avec sa fourchette, lançait des regards nerveux, soupirait parfois.

— Aïssata, a-t-il dit enfin, je ne suis pas doué pour les discours, encore moins pour les grandes déclarations… mais j’ai l’impression que ma vie a enfin commencé depuis que je t’ai rencontrée.

Il a sorti une petite boîte noire, ouverte juste ce qu’il fallait.

— Je ne veux plus imaginer un seul jour sans toi. Veux-tu m’épouser ?

Mon cœur s’est arrêté. Une seconde. Deux. J’ai senti mes yeux s’embuer, mes lèvres trembler, ma gorge se nouer.

— Oui… ai-je soufflé. Oui, je veux.

Il a souri, soulagé, ému, un peu maladroit en glissant la bague à mon doigt. Il a embrassé ma main, puis mon front.

On est restés là, quelques instants suspendus, heureux.

Puis j’ai ouvert doucement mon sac.

— J’ai quelque chose à te dire, Souleymane. Quelque chose d’important.

Il m’a regardée, intrigué.

— Je t’avais dit que j’allais vérifier une hypothèse. Et j’ai fait un test ADN. Discrètement. Entre toi et une personne…

Il s’est redressé, surpris.

— quelle personne ?

Je lui ai tendu l’enveloppe.

— Souleymane… ta mère biologique, c’est… c’est Zeynabou Fall.

Il est resté figé. L’enveloppe dans sa main. Il n’osait pas l’ouvrir. Ses yeux cherchaient les miens, comme s’il attendait que je dise autre chose. Mais je continue de le fixer pour voir sa réaction

Il a ouvert. Lentement. A lu. Puis relu. Et m’a regardée. Ses lèvres tremblaient.

—C’est qui Zeynabou Aissata ?

_Zeynabou Fall l’avocate du cabinet. Excuse-moi Souleymane mais depuis ui la sagefemme nous a dit ce nom je n’ai cessé de penser à cette hypothèse même si celà me semblait insensée au début ; j’ai décidé de creuser et voilà !

_ Est-ce qu’elle au courant ? demanda t’il la voix pleine d’émotions

— Elle ne le sait pas encore. Pour elle, tu es mort donc elle ne peut avoir aucune idée de cette histoire. Mais ça sera une très belle surprise pour elle aussi, elle a certainement beaucoup souffert de cette histoire

Il a baissé la tête. Une larme a glissé. Puis une autre.

Je lui ai pris la main. Fort.

— Tu n’es plus seul, Souleymane. Et tu vas enfin retrouver celle qui t’a mis au monde.

Il n’a rien dit. Juste posé son front contre ma main.

C’était le plus beau des dîners. Et le début d’une nouvelle vie.

 Narrateur externe

Souleymane ne parlait plus.

Le dossier du test ADN reposait sur la table, ouvert, indiscutable. Les lignes étaient là, froides, nettes : Filiation confirmée. Et en haut de la page, ce nom qu’il avait croisé si souvent ces derniers mois, sans jamais faire le lien : Zeynabou Fall.

Aïssata restait debout, silencieuse. Elle savait que ce moment serait violent. Elle n’avait rien dit à l’avance, de peur d’éveiller de faux espoirs ou de déclencher une tempête inutile. Mais les résultats étaient là. Souleymane connaissait enfin le nom de sa mère biologique.

Il se leva d’un bond.

— Je veux la voir.

Sa voix était calme mais déterminée. Un mélange d’émotion contenue et d’urgence. Il s’était levé trop brusquement, et ses mains tremblaient légèrement. Il ne savait pas ce qu’il dirait à cette femme. Il ne savait même pas ce qu’il ressentait. Mais une chose était sûre : il ne pouvait pas rester là, à lire ces mots sans agir.

Il tourna les yeux vers Aïssata.

— Tu viens avec moi ?

Elle acquiesça sans hésiter. Sans lui poser de questions. Elle comprenait. Et ce soir-là, elle était prête à l’accompagner, dans ce face-à-face qu’aucun des deux n’avait vu venir.

Souleymane prit les clés posées sur la table. C’était peut-être précipité se disait-il mais il ne voulait attendre une minute de plus. Depuis deux ans, il ne cessait de s’imaginait à quoi ressemblait sa mère biologique et pourquoi l’a-t-elle abandonné. Dans son for intérieur il remercie ironiquement Hadjara pour sa manipulation, sans cela, il n’aurait rencontré ni sa mère ni celle qui est actuellement l’amour de sa vie

La maison de Zeynabou était paisible ce soir. Un thé venait à peine d’être servi lorsqu’on frappa à la porte. C’était Sadou Ly, accompagné de son fils Abdallah. Tous deux s’étaient déplacés pour présenter leurs excuses, après les tensions survenues autour de Khadija.Zeynabou les avait reçus avec réserve, par politesse plus que par envie. Malang, son mari, les avait rejoints dans le salon, méfiant mais calme.

Mais au moment où leurs regards s’étaient croisés, quelque chose s’était passé.

Zeynabou et Sadou Ly.

Ils s’étaient reconnus sans dire un mot. Le temps avait passé, les visages avaient changé, mais il y avait dans leurs yeux un éclat ancien, un frisson du passé. Zeynabou sentit sa gorge se nouer. Elle tenta de garder contenance, mais au fond d’elle, les souvenirs remontaient, bruyamment. Lui. Le seul. Le père de cet enfant qu’elle avait pleuré en silence toute sa vie.

Ils échangèrent quelques mots, puis s’installèrent. Aucune allusion à leur histoire. Rien. Le silence des adultes qui savent cacher leurs tempêtes.

_ Nous nous excusons Monsieur et Madame Sagna, du tort qu mon fils a causé à votre fille. Il va l’épouser après son accouchement

_ Je l’espère bien, c’est le moins qu’il puisse faire après une telle humiliation

Puis, la sonnette retentit de nouveau.

Cette fois, c’était Souleymane, suivi d’Aïssata. Il tenait une enveloppe dans sa main.

Zeynabou les regarda avec étonnement.

— Aissata ?… Qu’est-ce qui se passe ? demanda-t-elle, un peu surprise par l’irruption.

Souleymane s’avança.

— J’aimerais vous parler. En privé.

Zeynabou échangea un regard rapide avec Malang, puis acquiesça, un peu troublée. Ils se retirèrent dans une pièce voisine, suivis malgré eux par les regards interrogateurs de Sadou, Malang et Aïssata.

À peine la porte refermée, Souleymane se lança, la voix nouée mais ferme.

— Madame Fall… Je suis votre fils.

Zeynabou recula légèrement, comme si ses jambes ne la soutenaient plus.

— Mon fils ? Je n’ai pas de fils. U’est ce ue vous racontez ?

_ Je suis celui ui vous pensiez mort à la naissance

_ Arreêtez de jouer avec moi. Comment avez-vous su pour cette histoire ? En plus mon fils est bien mort à la naissance

_ Non j’ai été donné à l’adoption par la sage-femme, elle s’appelle Aminata Seck. Avant la mort de ma mère adoptive, elle m’a avoué cette vérité. J’ai retrouvé cette sage-femme après deux années de recherche. C’est elle ui m’a donné votre nom. J’en ai parlé à Aissata qui a directement pensé à vous puis elle a fait un test ADN avec un verre qu’elle a récupéré dans votre bureau

Souleymane sortit l’enveloppe et la posa devant elle.

_ Voici les résultats du test ADN

Zeynabou porta une main à sa bouche. Elle vacilla. Le monde autour d’elle s’écroulait.

— Non… Ce n’est pas possible…

Elle tomba dans le fauteuil, les mains tremblantes. Elle ne pleurait pas encore. C’était pire. C’était un effondrement intérieur.

Et c’est à ce moment-là que Malang, qui avait surpris des bribes de la conversation, entra violemment dans la pièce.

— Quel enfant ? Quel fils ? hurla-t-il.

Zeynabou se figea. Son regard passa de Souleymane à son mari.

— Malang… Je…

Il se tourna vers elle, le visage déformé par la colère.

— Tu avais un enfant avant notre mariage ?! Et tu ne m’en as jamais parlé ?

Zeynabou tenta de répondre, mais les mots restaient bloqués.

Malang s’approcha, furieux, hurlant à nouveau :

— Et qui est ce garçon ? Qui est son père ? Dis-le !

Zeynabou, d’une voix brisée, murmura :

— Sadou Ly.

Un silence de mort s’abattit sur la pièce.

Tous les regards se tournèrent vers Sadou, encore figé, pâle, les yeux écarquillés.

Abdallah se leva d’un bond. Aïssata porta la main à sa poitrine. Malang fit un pas en arrière. Et Souleymane, lui, regardait fixement Zeynabou. Ce nom… celui qu’il avait entendu quelques jours plus tôt, sans y croire. Tout se confirmait.

— Zeynabou, on a eu un fils et je ne l’ai jamais su demanda Sadou

Zeynabou éclata enfin en sanglots, incapable de retenir davantage sa douleur. Ce secret qu’elle avait enfoui depuis si longtemps venait de détruire tout équilibre. Et dans ce chaos soudain, il n’y avait plus d’ordre, plus de masque, plus de dignité à tenir. Il ne restait que des vérités, et des larmes.

Narrateur externe

La maison des Sagna était sous effervescence. Tout le monde était choqué. Comment Zeynabou avait-elle pu cacher une vérité aussi lourde à son mari ?

Malang était hors de contrôle. Il tournait en rond dans le salon, les traits tirés, le regard perdu entre rage et incompréhension. Il n’avait jamais su que sa femme avait eu une grossesse avant leur mariage. Et maintenant, voilà qu’un homme débarquait pour lui dire qu’il était leur fils.

Tout le monde était bouleversé. Zeynabou, silencieuse, ne savait plus quoi dire. Sadou Ly, debout à l’autre bout de la pièce, ne disait rien non plus. Il avait compris. Il savait que ce que Zeynabou venait d’annoncer était vrai. Mais il ne s’attendait pas à ce que la vérité refasse surface ainsi, après toutes ces années.

Khadija, la fille de Zeynabou, ne disait plus un mot. Elle était pétrifiée.

Elle était enceinte du fils de l’ancien amant de sa mère.

Du demi-frère de son propre demi-frère.

Quelle ironie.

Et au milieu de ce chaos, une seule question restait en suspens :

Pourquoi Zeynabou avait-elle choisi de garder ce secret ?

Maintenant, il fallait qu’elle s’explique.

 Zeynabou Fall

J’étais jeune. Pleine de vie.

Fille du grand Maître Khoureychi Fall, avocat redouté, et de la brillante Dr Marianne Gaye, professeure de droit à l’université. Une famille droite, bourgeoise, respectée. J’étais leur unique fille, la prunelle de leurs yeux. Tout était tracé pour moi : une mention au bac, un visa en poche, et des études en France. Le rêve de tout parent. Mais pas le mien.

Je voulais rester.

Rester pour lui.

Sadou Ly. Mon premier amour. Mon grand amour. Il n’était ni avocat, ni médecin. Mais il avait ce regard, cette sincérité, cette façon de me parler comme si j’étais tout. Nous étions jeunes, naïfs, amoureux. Je pensais qu’on irait loin ensemble.

Quand mes parents ont découvert notre relation, ils ont tout fait pour m’en éloigner. Ce n’était pas un garçon “de notre monde”. Quand ils ont appris que j’étais enceinte… c’était l’explosion. Ma mère est devenue hystérique. Elle a voulu que je mette fin à la grossesse. Mon père, lui, parlait de réputation, de déshonneur. “Fille de magistrat enceinte avant le mariage ? Jamais !”

Ils m’ont enfermée, coupée du monde. Mais je refusais d’avorter. Malgré les menaces, les cris, les punitions. Je voulais juste parler à Sadou. Je devais lui dire.

Un jour, j’ai fui la maison. Je suis allée chez lui.

J’ai trouvé sa mère couchée sur son lit

Je me souviens de son regard fuyant, de son ton sec. Elle m’a dit que Sadou s’était marié. Avec sa cousine. Depuis deux semaines déjà.

J’ai senti mes jambes me lâcher. J’ai eu mal. Si mal.

Mais je n’ai pas pleuré devant elle.

Je suis rentrée seule. Et j’ai décidé que ce bébé, je le garderais. Même sans lui. Même sans soutien.

Quelques mois plus tard, j’ai accouché dans une clinique privée. Toute seule.

La sage-femme m’a regardée avec ce visage figé. Elle m’a dit que le bébé était mort-né.

Qu’il n’y avait rien à faire.

J’ai hurlé. J’ai refusé d’y croire. Je l’ai suppliée de me laisser le voir. Elle m’a dit non.

“Ce n’est pas conseillé, mademoiselle, vous êtes trop fragile.”

Je me suis effondrée. J’ai sombré. Je ne mangeais plus. Je ne parlais plus.

Je faisais des cauchemars où mon bébé pleurait, sans que je puisse le prendre dans mes bras.

C’est ma mère qui m’a tirée de là. À sa manière. Froidement, fermement. Elle m’a remise debout. M’a poussée à finir mes études. J’ai terminé mon master.

C’est là que j’ai rencontré Malang. Un homme bien. Droit.

Je me suis accrochée à cette nouvelle vie, à ce nouveau départ.

Mais cette douleur…

Je l’ai enterrée. Pas oubliée.

Pendant toutes ces années, j’ai vécu en pensant que mon fils était mort.

Je n’ai jamais su que cette femme m’avait menti.

Que quelqu’un, quelque part, avait grandi sans moi

Mon cœur bat à une vitesse folle. Mais je reste droite. Calme en apparence.

À l’intérieur, je tremble. Je chancelle.

À ma gauche, Malang le regarde avec dureté. Je reconnais ce regard. Celui qu’il réserve aux gens qu’il juge. Il ne comprend rien encore, mais il sent déjà que quelque chose l’échappe. Il sait que je lui ai caché une partie de ma vie. Une part de moi.

Et puis il y a Khadija. Ma fille. Elle aussi le regarde. Elle ne dit rien, mais je vois son trouble. Elle essaie de comprendre. Elle cherche des réponses dans mon silence.

Et au milieu de ce chaos, Sadou prend la parole.

— Zeynabou… Je n’ai jamais su. Jamais. Si j’avais su que tu étais enceinte, je n’aurais jamais laissé ça se passer comme ça.

Sa voix est tremblante. Son regard cherche le mien. Il est sincère. Je le sais. Je le sens.

— Ce mariage… C’était ma mère. C’était sa dernière volonté. Elle était malade, elle tenait à ce que je me marie avec Aïssé. Elle disait que c’était une promesse qu’elle avait faite à sa sœur. Je voulais te parler. Mais je n’ai pas eu le courage. Et je ne t’ai plus revue.

Je l’écoute sans parler. Tout s’aligne dans ma tête.

Il ne savait pas. Il m’a perdue sans comprendre pourquoi. Et moi… moi, je croyais qu’il m’avait abandonnée. C’est tout ce que je pouvais comprendre à cette époque

Je tourne les yeux vers Souleymane.

Je sens mes yeux se remplir de larmes. Je refuse de pleurer. Pas maintenant. Pas devant eux.

Mais dans mon cœur, tout s’effondre. Et tout renaît.

Mon fils. Mon sang.

Il n’est pas mort. Il est là, bien vivant

Et je ne sais pas s’il me pardonnera un jour de ne pas avoir été là pour lui.

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