Silence du Barreau E6

Episode 6 - A ma mère adoptive

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 Aïssata Diallo

Je viens de finir de boucler ma valise. Il ne me reste plus rien à ranger. Ma chambre est presque vide. C’est un peu étrange de partir comme ça, même si je sais que c’est mieux pour moi.

Keur Massar, c’est trop loin. Tous les jours, je passe des heures dans les embouteillages. Je rentre tard, fatiguée, et je recommence le lendemain. Mon frère a fini par insister. “Ce n’est plus possible Aïssata, viens habiter chez nous.” J’ai fini par dire oui.

Mais chez lui, ce n’est pas vraiment chez moi. Sa femme, Diarra Ly, ne nous supporte pas. Ni moi, ni ma mère. Elle n’a jamais été proche de nous. Depuis leur mariage, elle reste toujours à l’écart. Même quand elle sourit, on sent qu’elle ne nous veut pas là.

Pourtant, leur appartement est grand. Il y a de la place. Mais Diarra aurait préféré vivre seule avec son mari. Elle l’a toujours montré. Mon frère, lui, fait ce qu’il peut. Il a même fait venir notre mère ici, en disant qu’il ne voulait pas la laisser seule. Mais Diarra ne nous a jamais vraiment acceptées.

Je respire un grand coup. Ma mère m’attend dans le salon. Elle est assise, silencieuse. Je sais qu’elle pense la même chose que moi, mais elle ne dit rien. Elle me regarde seulement, avec ce regard doux, triste et calme.

Je la rejoins. Je lui prends la main.

— On y va ?

Elle se lève sans un mot. On sort ensemble.

Je ne suis pas pressée d’arriver là-bas. Mais je dois m’adapter. Me concentrer sur mon travail. Le procès est bientôt. Et je n’ai pas le droit de me disperser.

Dans cette maison où je vais vivre, l’ambiance est tendue. Mais je n’ai pas le choix.

Je n’étais même pas installée depuis 48 heures dans cette maison. Les cartons trônaient encore dans un coin de la chambre, ouverts à moitié, comme si mes affaires hésitaient à s’installer elles aussi.

Zouleykha Diagne, ma meilleure amie depuis plus de dix ans arriva en début de soirée. Elle salua poliment ma mère installée dans le salon, puis me rejoignit dans la chambre. Elle n’attendit pas d’y être invitée.

— Aïssata, tu es vraiment obsédée par cette histoire, dit-elle en me surprenant penchée sur le dossier Souleymane.

Je levai les yeux, un peu sur la défensive.

— C’est normal non ? Je suis son avocate.

Elle me lança un regard malicieux.

— Je te connais. Cette histoire te touche plus que tu ne veux l’admettre.

— Tu racontes des bêtises. C’est mon premier dossier, je veux juste le gagner. C’est tout.

— Souleymane ne te plaît pas un peu… même juste un peu ?

Je souris malgré moi.

— Il est beau, sérieux, gentil, drôle quand il veut… mais non. Il ne me plaît pas.

 

— Hahaaa ! Tu mens mal. Tu l’aimes, assumes

— Tu es folle. Et toi ? Dis-moi plutôt ce qu’il en est de ton nouveau copain.

Elle se redressa, toute excitée.

— Il s’appelle Abdoulaye Diop. Il travaille à InnovBank. Il est informaticien là-bas.

Je haussai les sourcils.

— Là où ton père travaille ?

— Exactement. Je venais voir papa, je l’ai croisé, et… je ne sais pas. Y’a eu un truc spécial entre nous

— Il m’a appelée quelques jours plus tard. Il a dit que papa lui avait donné mon numéro. Depuis, on ne se quitte plus.

Je souris sincèrement.

— Ça fait plaisir de te voir heureuse. Tu vas me le présenter quand ?

— Quand tu auras fini de t’enliser dans ton dossier. Bon je vais rentrer, il se fait tard

Je l’accompagnai jusqu’à la porte, et en sortant dans le couloir, on tomba sur Diarra . Elle nous observa sans un mot, avant de lâcher, presque machinalement :

— Bonsoir.

— Bonsoir, répondis-je.

Zouleykha hocha la tête poliment, mais je sentis son regard glisser sur Diarra intriguée. 

Ce n’était pas encore une dispute. Pas encore. Mais je sentis l’atmosphère se tendre, comme un tissu   qu’on étire un peu trop. Ma présence ici n’allait pas être simple. Je le savais déjà. Je retourne tranquillement après avoir raccompagné Zoukeykha puis la voit encore me toiser.

 —-Diarra c’est quoi ton problème 

—-c’est vous mon problème, déjà vous venez secouer notre quiétude puis tu te permets d’inviter des gens ici.

— C’est la maison de mon frère je fais ce que je veux

_ Je suis la femme de ton frère donc je suis la maîtresse des lieux

_ Tu vas devoir nous supporter ma mère et moi.

—profitez , vous allez bientôt quitter cette maison ta mère et toi

Diarra Ly

Je ne les ai jamais aimées. Ni la mère, ni la fille. Depuis le début, je savais que leur présence ne me laisserait jamais en paix. Quand j’ai épousé Abdou Salam, on m’a dit qu’il était très attaché à sa famille. Qu’il avait grandi entre les mains de sa mère. Qu’il avait une petite sœur brillante, pleine d’avenir. Et qu’il ne fallait surtout pas les éloigner.

Mais moi, je n’avais jamais rêvé d’un mariage à trois. Je voulais juste vivre avec mon mari. Avoir notre intimité. Nos moments. Sans les regards en coin de sa mère dans le salon. Sans les déplacements bruyants d’Aïssata, comme si tout ici lui appartenait. Sans devoir baisser le ton parce qu’une belle-mère fragile fais la sieste

Et maitenant, elles vivent sous notre toit.

Quand Aïssata m’a répondu ce matin, j’ai senti ma colère monter. Ce ton. Cette manière de me parler comme si j’étais l’étrangère ici. Je ne pouvais pas rester sans rien dire.

Je suis allée trouver Abdou Salam dans la chambre. Il lisait un rapport sur son téléphone, comme si tout allait bien dans le meilleur des mondes.

— Abdou Salam, il faut qu’on parle.

Il leva les yeux, surpris par mon ton.

— Qu’est-ce qu’il y a encore, Diarra ?

— Ce qu’il y a ? Tu me demandes ce qu’il y a ? Ta sœur me parle comme si cette maison lui appartenait. Et ta mère ne me regarde même plus quand elle passe devant moi.

Il soupira, comme à chaque fois qu’on abordait ce sujet.

— Diarra, tu sais que ce n’est pas facile pour elles. Ce déménagement n’était pas prévu. Aïssata fait de longs trajets, et maman a besoin d’attention.

— Et moi ? Je ne compte pas ? Je n’ai pas le droit à un espace tranquille, à une vie de couple normale ? On dirait que tu préfères toujours te ranger de leur côté.

— Je ne suis du côté de personne, je veux juste qu’on se respecte.

— Eh bien commence par leur rappeler que c’est moi, ta femme. Et que je n’ai pas à supporter leur présence comme une punition. Si elles restent, dis-le-moi clairement. Je saurai quoi faire.

Il resta silencieux, mal à l’aise. Moi, je n’attendais pas une réponse immédiate. Juste qu’il comprenne que cette situation ne pouvait plus durer. Cette fois, c’était à lui de choisir.

Narrateur Externe


La ville bruisse encore des remous du dernier article de Mansour Hann. Dans les rues, dans les bureaux, dans les salons feutrés des familles respectables, un nom revient avec insistance : Souleymane Rachid Ba. Le PDG modèle, le gendre rêvé, l’homme qu’on citait en exemple, se retrouve aujourd’hui traîné dans la boue des soupçons.

Mais au-delà du scandale judiciaire, c’est un autre tumulte qui agite Souleymane.

Un tumulte plus ancien, plus intime.

Depuis quelques jours, il dort mal. Son esprit vagabonde entre des souvenirs d’enfance qu’il croyait figés, des regards de sa mère adoptive qu’il comprend désormais autrement, et des bribes de phrases murmurées à l’hôpital, juste avant qu’elle ne ferme les yeux.

C’est dans ce tourbillon intérieur qu’il a proposé un déjeuner à son ami Abdoulaye. Non pas pour parler du procès, ni des rumeurs, mais pour parler de lui, de cette faille invisible qu’il n’a jamais osé nommer.

Souleymane était déjà là, assis à une table au fond du restaurant. Il tenait son téléphone entre les mains, sans vraiment le regarder. Son pouce faisait défiler l’écran, mais ses pensées étaient ailleurs. La pièce était animée de conversations étouffées, de couverts entrechoqués et de rires lointains, mais pour lui, tout semblait silencieux. L’assiette devant lui était encore pleine, et son café, intact.

Quelques instants plus tard, Abdoulaye fit son entrée. Il jeta un rapide coup d’œil à la salle, repéra son ami et marcha tranquillement jusqu’à lui. Il tira la chaise en face, posa sa veste sur le dossier, et s’installa sans un mot. Puis il le fixa, longuement, comme s’il cherchait à comprendre ce qui se passait derrière ce visage fermé.

— Tu penses au procès ?, demanda-t-il enfin.

Souleymane leva les yeux vers lui, hésita, puis répondit d’une voix posée.

— Non. Je pense à mon identité.

Abdoulaye ne répondit pas tout de suite. Il attrapa la carafe d’eau sur la table, se servit, puis reprit calmement.

— Arrête de te torturer avec ça, mon frère. Ce n’est pas ce qui te définit.

— Facile à dire pour toi. Tu vis avec tes deux parents biologiques. Tu connais ton histoire, tes racines. Moi, je ne sais même pas qui m’a mis au monde.

Abdoulaye baissa les yeux. Il comprenait sa douleur. Souleymane la portait depuis longtemps, même s’il n’en parlait pas souvent.

— Tu as quand même eu de la chance. Soda Marieme Ba t’a aimé comme son propre fils. Elle t’a élevé, protégé, soutenu. Tu as reçu l’amour qu’un enfant mérite.

Souleymane hocha lentement la tête.

— Je ne l’oublierai jamais. Surtout ce jour-là… quand elle m’a tout avoué.

Il s’interrompit. Le souvenir était intact, vif comme une brûlure ancienne.

2ans plutôt

 Soda Marieme Ba était allongée, amaigrie, le souffle court. À son chevet, Souleymane, 26 ans, l’accompagne, le cœur lourd. Il lui caresse la main, inquiet.

— Maman, repose-toi. Tu n’as pas besoin de parler.

Mais elle secoue la tête avec une fermeté douloureuse.

— Non. Écoute-moi. Je ne veux pas emmener ce secret dans ma tombe.

Souleymane se fige.

— Quel secret ?

— Tu n’es pas mon fils biologique.

Un silence. Le monde se fissure autour de lui.

— Quoi ?

— J’ai payé pour t’avoir. Une infirmière… elle s’appelait Aminata Seck. Elle est venue me voir avec ce bébé. Elle a dit qu’une étudiante avait accouché en cachette, qu’elle voulait abandonner l’enfant. Elle avait peur de sa famille, de la honte… J’ai hésité. Mais je voulais un enfant. Et toi, tu étais là… si petit, si fragile. L’infirmière m’avait demandé une somme d’argent en échange

Les larmes de Souleymane roulent sans bruit.

— Tu ne sais rien d’elle ? Même pas son nom ?

Soda secoue lentement la tête.

— Elle ne m’a rien dit. Juste qu’elle repartait en province. Elle m’a remis une boîte… une lettre écrite par la mère. Je ne l’ai jamais lue. Elle est dans mon tiroir, en bas.

Souleymane l’embrasse sur le front, la gorge nouée.

— Pourquoi ne m’as-tu rien dit plus tôt ?

— Parce que tu es mon fils. Même sans le sang, même sans le nom. Je voulais te protéger de cette vérité.

Souleymane baisse les yeux.

Présent

— Depuis ce jour, je cherche cette Aminata Seck. J’ai fouillé les HLM, interrogé les anciens… On m’a juste dit qu’elle avait déménagé il y a vingt ans.

Abdoulaye reste silencieux un instant. Puis il murmure :

— Peut-être que tu devrais engager un détective privé.

Souleymane hoche la tête.

— C’est ce que je vais faire. Il faut que je sache. Que je me construise.

Un serveur s’approche. Ils commandent distraitement. Puis, comme pour alléger l’air devenu trop lourd, Abdoulaye enchaîne :

— Sinon… où en est ta nouvelle avocate ? Celle qui fait battre ton cœur sans pitié ?

Souleymane lève les yeux, esquisse un sourire.

— Elle me terrifie. Elle est brillante, droite… J’ai l’impression qu’elle lit à travers moi. Et qu’elle ne me croit pas.

— Ce regard-là, c’est peut-être qu’elle se protège.

Souleymane le fixe, pensif.

— Je vais lui prouver que je suis innocent. Et ensuite… je lui prouverai que je suis digne d’elle.

— Tu l’aimes vraiment ?

— Je vais l’épouser.

Abdoulaye éclate de rire.

— Toi ? L’homme insaisissable ? Elle est forte cette Aïssata !

Il marque une pause.

— Moi aussi, j’ai une annonce. J’ai décidé de me marier. Zouleykha.

Souleymane le regarde, sincèrement surpris.

— Sérieux ?!

— Oui. Je te la présenterai quand tout ça sera derrière toi.

Ils lèvent leurs verres de jus, comme un toast discret à leurs décisions, à leurs cicatrices et à ce qu’ils espèrent construire malgré tout.

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